Après avoir perturbé des compétitions sportives, interrompu des spectacles ou vandalisé des œuvres d’art, tel le célèbre chef-d’œuvre de Van Gogh, «Les Tournesols», arrosé copieusement de soupe à la tomate, les actions choc du mouvement militant pour le climat Just Stop Oil ont visé, cette fois-ci, les vieilles pierres. Deux militants écologistes -arrêtés depuis par la police du comté du Wiltshire- ont aspergé de peinture en poudre orange des monolithes du célèbre site préhistorique du sud-ouest de l’Angleterre, Stonehenge, classé au patrimoine mondial de l’Unesco.
Levée de boucliers dans les milieux scientifiques ou politiques, alors que le gouvernement britannique avait donné son feu vert, l’année dernière, pour construire un tunnel autoroutier à 200 mètres des pierres et à 40 mètres de profondeur, prenant le risque d’exposer le site à un préjudice irréversible.
Face à la peinture d’amidon de maïs des militants écologistes, le Premier ministre Rishi Sunak, dénonce «un acte de vandalisme honteux à l’encontre de l’un des monuments les plus anciens et les plus importants du Royaume-Uni et du monde», alors que l’archéologue Mike Pitts exprime sa vive inquiétude quant aux dommages potentiels.
C’est que le site préhistorique, avec ses mégalithes dressés formant de mystérieux cercles concentriques, disposés par étapes, selon les estimations, vers le 3ème millénaire avant notre ère, reste le plus emblématique du genre dans le monde par sa taille, par la sophistication de son plan et par sa précision architecturale, étant aligné sur l’axe du soleil lors des solstices d’été et d’hiver.
Certaines études -dont une publiée en 2019 dans une revue scientifique américaine- soutiennent que ce sont les dolmens bretons qui ont inspiré les plus grands sites mégalithiques européens.
Les alignements de Carnac en Bretagne représentent en ce sens la terre élue pour plus de 3.000 menhirs, datant pour certains de huit millénaires.
Là, ce n’est pas Just Stop Oil ou un projet de tunnel qui a défrayé la chronique, mais une célèbre enseigne de bricolage à la suite de la destruction, l’année dernière, de 39 menhirs multilinéaires, situés à proximité des alignements, pour permettre la construction d’un magasin.
On entend d’ici, râler Astérix: «Veux-tu donner à César ce qui m’appartient?»…
Pour rendre à César ce qui est à César, il faut d’abord rappeler, malgré le puissant ancrage dans l’imaginaire collectif, l’antériorité de ces vestiges, datant de plusieurs millénaires par rapport aux exploits de Vercingétorix, et l’anachronisme d’un mégalithisme d’origine celtique, lié au mythe de «nos ancêtres les Gaulois».
Par ailleurs, en dehors de tout ethnocentrisme, plusieurs chercheurs valident la théorie de la naissance simultanée d’une architecture et d’une civilisation mégalithique sur tous les continents.
Combien de personnes connaissent le grandiose monument de Mzora, près du village de Chouahed, au nord-est de Larache, datant de l’Âge du bronze, appelé Cromlech dans le sens d’un alignement circulaire de 167 menhirs dont le plus monumental atteint six mètres de haut, ce qui lui vaut l’appellation locale d’El-Outed (le Piquet).
L’archéologue Pierre Cintas le décrit comme étant «incontestablement la construction mégalithique la plus imposante d’Afrique du Nord et la seule aussi à rappeler par son importance celle des monuments européens».
Comme pour Carnac ou pour Stonehenge, la fonction de ces pierres, autant que leur alignement, reste enveloppée de mystère, de même que les savoirs de cette société d’anciens bâtisseurs, ne serait-ce que pour avoir pu transporter et lever des pierres colossales pesant parfois des centaines de tonnes, dans ce qui ressemble à un exploit d’ingénierie notable.
Tout a été envisagé: observatoire astronomique, calculateur néolithique, tumulus funéraire, lieu thérapeutique, marqueur territorial, temple universel au rôle religieux, social, artistique ou cérémoniel… La porte reste ouverte à toutes formes de théories, des plus sérieuses aux plus extravagantes, ainsi qu’à d’étranges légendes mêlant êtres surnaturels, lutins ou géants.
Si la fondation de Stonehenge est attribuée à Merlin l’enchanteur dans la légende du roi Arthur, ou le dolmen de Poitiers au géant Pantagruel par Rabelais, celle du Cromlech de Mzora est indissociable du titan Antée, fils de Gaïa et de Poséidon.
Nourrissant la mythologie, la littérature et les arts, le géant Antée est présenté comme étant le dernier roi de ces contrées, ayant eu pour résidence son palais de Lixus (soit Larache) et pour femme Tingi, qui revint à son vainqueur, le héros grec Héraclès (devenu Hercule chez les Romains), dont elle eut un fils appelé Sophax, fondateur de Tingi (soit Tanger) à laquelle il donna le nom de sa mère.
Plutarque raconte dans son récit relatif à l’assaut de cette cité par le général romain Sertorius: «C’est là, disent les Africains, qu’Antée est enterré. Sertorius, qui n’ajoutait pas foi à ce que les Barbares disaient de la grandeur énorme de ce géant, fit ouvrir son tombeau où il trouva, dit-on, un corps de soixante coudées. Étonné d’une taille si monstrueuse, il immola des victimes, fit recouvrir avec soin le tombeau, augmenta ainsi le respect qu’on portait à ce géant, et accrédita les bruits qui couraient sur son compte».
Depuis l’Antiquité, le Comlech de Mzora est ainsi assimilé au tombeau d’Antée, tandis que les spécialistes soutiennent sa fonction de sépulture d’un personnage de haut rang.
Les légendes sur les elfes et les géants pourraient prêter à sourire, tout comme le retour aux vieilles pierres, bien muettes, de la préhistoire, pourrait exaspérer les plus terre à terre. Il suffit pourtant de rappeler, dans ce dernier cas de figure, que la défense du patrimoine et la mise en valeur culturelle ne se limitent pas au tarbouch, au caftan et à la babouche.
Alors que Stonehenge s’apprête à accueillir des milliers de visiteurs, qui pourrait sous-estimer les retombées incommensurables d’un tel lieu sur le plan touristique et comme levier de développement régional? C’est ce qu’on appelle faire d’une pierre deux coups.