Fausse petite-fille et authentique fils de l’Emir Abdelkader

Mouna Hachim.

ChroniqueAmbitions, intrigues et rêves de gloire…

Le 25/05/2024 à 11h01

Son Altesse Sérénissime Karima Chami, connue depuis cinq années des médias publics algériens comme étant la petite-fille de l’Emir Abdelkader, palabrant en toute occasion avec son joli accent levantin (ayant longtemps vécu en Syrie et au Liban après sa naissance à Alger), récoltant au passage honneurs dus à son rang, dons pour un hypothétique orphelinat, promesses de hauts postes et bienfaits matériels dont un luxueux appartement à Alger, vient de révéler le pot aux roses dans un live sur YouTube.

De princesse, elle n’en aurait que la prétention, soutenue par des relations tissées avec des membres de l’ambassade algérienne à Washington depuis sa résidence à Houston, sa corruption de tout ce qui était possible d’être corrompu, y compris un membre de la famille émirale basé à Londres, en plus de complicités des services de renseignements malgré les accusations de fraude lancées par la Fondation Emir Abdelkader, tandis que toutes les antennes de l’appareil étatique n’y auraient vu que du feu.

De quoi ajouter un scandale en cet Annus Horribilis pour le Régime voisin!

L’histoire de cette princesse usurpatrice tombe juste au moment où je complétais mes investigations autour d’un authentique prince dont la vie trépidante, étrangement méconnue, ressemble à un feuilleton fait d’intrigues, d’espionnage et d’agents secrets.

Son histoire est d’autant plus intéressante pour nous, Marocains, en raison de ses troublantes prises de position, qui ont conduit à sa perte dans une bataille contre les troupes de Mohamed ben Abdelkrim Khattabi.

Il s’agit d’Abdelmalek, dernier fils de l’Emir Abdelkader.

Formé à Damas, sa ville natale, il est promu au sein de l’armée ottomane avec le grade de lieutenant-colonel et le titre d’aide de camp du sultan Abdülhamid II.

Mais, écrit Pierre Bardin, «déçu dans ses ambitions, il demande en 1900 sa réintégration dans la nationalité française. En relation avec le parti des Jeunes Turcs à Constantinople, il croit sa vie menacée, il s’enfuit en Egypte et de là gagne Tanger en 1902. Au Maroc, on le retrouve auprès de l’agitateur Bou Amama…».

En 1903, il était en effet reçu dans la Zaouia et siège de l’Etat-major du cheikh à Figuig avant de rejoindre les rangs de l’armée du révolté Jilali Zerhouni, alias Bouhmara, qui le nomme chef de sa cavalerie.

Passant d’une alliance à son contraire, Abdelmalek apparaît bien vite au service de l’armée française avec le poste de colonel et ne tarde pas à servir les intérêts français au Maroc après la Conférence d’Algésiras, dédiée à la question marocaine, alors que les convoitises des puissances européennes étaient aiguisées dans un contexte d’expansion coloniale et de tensions diplomatiques franco-allemandes.

Dans l’article 3 de la Conférence d’Algésiras, il est stipulé que pour venir en aide au Sultan dans l’organisation de la police, «des officiers et sous-officiers instructeurs espagnols, des officiers et sous-officiers instructeurs français, seront mis à sa disposition par leurs Gouvernements respectifs, qui soumettront leur désignation à l’agrément de Sa Majesté Chérifienne.»

Abdelmalek se trouve ainsi nommé en tant que commandant des tabors de police à Tanger.

«Ce poste permit à l’émir de réaliser quelques-unes de ses ambitions», écrit l’homme de Lettres et historien algérien Aboul-Kassem Saadallah, poursuivant, quelques lignes plus loin, que Abdelmalek semble avoir été «insatisfait du poste qu’il occupait, l’estimant inférieur au rang que son orgueil exigeait. Les Français, disait-il à Harris, opposaient constamment des obstacles à ses ambitions».

Mais, comme dirait le fameux adage: «Celui qui n’a qu’une seule porte, qu’elle lui soit fermée à jamais»!

Les Allemands étaient là, en relation continue, depuis sa base à Tanger.

Abdelmalek les avait même avertis secrètement, avec l’éclatement de la guerre en 1914, de l’expulsion des ministres des puissances centrales, leur donnant la possibilité de faire disparaître toute trace écrite préjudiciable.

Puis, «cédant à leurs instances, écrit Jean Saulay, il accepte de se retirer en montagne, sur les confins orientaux du Maroc et sa mission semble être de provoquer à l’est de Taza une agitation susceptible de couper les relations entre le Maroc et l’Algérie».

Le voilà donc désertant son Tabor de Tanger et déclaré, dès le mois de décembre 1914, ennemi de la France, appelant à la révolte générale et engageant plusieurs batailles après avoir mis sa famille en sécurité.

Vivant d’abord dans les régions de Taza puis de Melilla, il mobilise quelques tribus, se met en relation avec les chefs marocains de la lutte anticoloniale et poursuit les liens avec celui qui est surnommé le «Lawrence du Maroc», l’agent allemand Barthels Hermann, alias Albert Barres.

Abdelmalek se fait également proche de Mohamed ben Abdelkrim Khattabi, qui collabore avec lui depuis 1915 au nom de la guerre sainte, avant que celui-ci ne prenne des distances transformées en guerre ouverte…

Il faut dire que, dans sa soif de pouvoir, Abdelmalek, voyant l’effondrement de l’empire ottoman et de l’Allemagne auprès desquels il aspirait à un soutien politico-militaire, dirigea désormais son regard vers une autre puissance occupante, l’Espagne qui saisit au vol ses ambitions en lui fournissant à Melilla les moyens d’organiser une Harka.

Abdelmalek venait de porter un coup dur au prétendu jihad et de se faire un ennemi de taille.

C’est au cours d’une de ses batailles, armées par l’Espagne, contre les troupes d’Abdelkrim Khattabi, qu’il devait trouver la mort le 7 août 1924, tué près du camp de ‘Azib Midar d’une balle dans le cœur.

Panégyrique significatif: un extrait de la presse espagnole, tiré d’un article publié sous le titre «La Muerte del Cherif Abd-el-Malek» saluant son «noble combat pour la civilisation et pour la nation protectrice»!

Par Mouna Hachim
Le 25/05/2024 à 11h01