Pour ceux qui ne la connaissent pas, Simone Bitton est une cinéaste de qualité, spécialisée dans le cinéma documentaire. Ses films lui ressemblent: beaux, simples et sincères. Ils offrent un magnifique pont entre ses deux cultures: juive et franco-marocaine. Et tout en apaisement, s’il vous plaît.
Simone a fait partie, tout récemment, du jury du Festival du cinéma méditerranéen de Tétouan, présidé par Elia Suleiman. Ce festival à taille humaine est l’un des meilleurs au Maroc. Sa force vient de ses dirigeants, qui sont de vrais cinéphiles, amoureux fous du cinéma.
Voilà ce que Simone Bitton a pourtant écrit, à la fin du festival. «Triste de quitter Tétouan et mes amis du jury du festival du film méditerranéen. C’était un beau moment de partage (…). Triste que les autorités cinématographiques du Maroc continuent de censurer des bouts de corps de femmes et de performances d’actrices. Ce n’est ni honorable, ni respectable, ni intelligent. Plusieurs des films en compétition ont été amputés de séquences qui n’avaient rien de choquant -pour raison de nudité ou de sensualité. C’est la censure qui est choquante et cela doit cesser».
J’ai été surpris en lisant ces lignes tirées de la page Facebook de l’artiste. Choqué serait peut-être plus indiqué. Je comprends et partage le désarroi de Simone Bitton. Je suis peut-être naïf, mais je ne savais pas que la censure pouvait aller aussi loin.
J’ai pourtant fait partie de plusieurs jurys de cinéma. Je connais la règle. La censure, quand elle existe bien sûr, s’exerce en amont, au moment de la sélection. Des films de qualité peuvent être éliminés parce que les organisateurs ont «peur» (je n’ai pas d’autre mot) des thèmes ou de certaines scènes dites chaudes. C’est leur problème. Mais après la sélection, c’est trop tard, on laisse faire. Quand on sélectionne un film, on l’assume. Et il ne viendrait à personne l’idée de toucher à l’intégrité physique des films sélectionnés.
Projeter un film dans le cadre d’un festival n’a rien à voir avec une projection commerciale. On a créé des festivals, justement, pour voir des films invisibles ou censurés en salles. Le public d’un festival appartient au genre averti. C’est un public «encaisseur». Parce qu’il connaît le cinéma et n’a pas besoin qu’on lui serve cette abomination qu’on appelle «art propre».
Le cinéma, il faut le prendre comme il vient. Ou le laisser. Une création artistique, c’est comme une personne humaine, il faut respecter son intégrité physique et ne pas y toucher.
Et si on n’arrive même pas, ou même plus, à regarder un film dans le cadre restreint et réservé d’un festival ou d’un ciné-club, où va-t-on? Et où vit-on?
C’est comme acheter une copie de «L’origine du monde» et l’exposer dans son salon, mais en recouvrant le tableau de Courbet d’un voile de pudeur. Pour faire propre et n’offenser personne. Soi-disant. C’est tellement nul, mon ami!