Il y a quelques semaines, la jeune Oumaïma, âgée de 17 ans, a été kidnappée dans son quartier de la banlieue de Casablanca et emmenée dans l’un des plus grands bidonvilles de la métropole, Lahraouiyine, ou «Tchéchène» pour les intimes. Ce petit nom, ses habitants le lui donnent, car tout, de ces ruelles où courent les eaux usées et les rats, de ces maisons éventrées faites de tôle, de bouts de cartons et de plastique, rappelle le triste visage de la Tchétchénie après la guerre.
C’est ici, dans ce paysage désolé, que la jeune Oumaïma s’est fait enlever et séquestrer pendant 25 jours. Presque un mois, au cours duquel elle sera violée, torturée et droguée, chaque jour, par une vingtaine d’hommes.
Ses bourreaux la forcent aussi à ingurgiter des substances toxiques, de l’eau de javel et de l’acide, pour être sûrs qu’elle ne survive pas à cet exil sexuel forcé, et certainement pour s’assurer par la même occasion qu’elle reste en vie suffisamment longtemps pour qu’ils puissent tous encore en profiter un peu.
Faut-il parler de «coup de chance» quand on évoque la fin de cette histoire glauque… Oumaïma pourra finalement prendre la fuite «grâce» à l’un de ses bourreaux, qui, venu la violer à son tour, la prend finalement en pitié… Aujourd’hui, la jeune fille est dans un état critique et, après ce choc traumatique, traverse une crise psychologique aiguë.
Pour notre grand malheur, à nous Marocains, des Oumaïma, il y en a plein. L’une des dernières en date, du moins l’une de celle qui a été médiatisée, s’appelle Khadija. Elle aussi, a été séquestrée, droguée, violée et tatouée par ses bourreaux.
Bien sûr, nous n’oublions pas non plus, Hanane… Morte après avoir été enlevée, violée, torturée, poignardée… et filmée par ses bourreaux.
Hasnae, retrouvée morte au fond d'un puits, après avoir été violée, au même titre que quinze autres filles, par un groupe de jeunes.
Nassima, kidnappée à Marrakech par un groupe de quatre jeunes puis séquestrée, sauvagement violée et torturée avant d’être relâchée. Elle s’est ensuite donné la mort par pendaison.
Nous n’oublions pas non plus Nouhaila, 19 ans, originaire de la ville de Sidi Kacem. Séquestrée, violée et torturée pendant un mois dans un appartement casablancais.
Et nous n’oublions pas non plus, «la jeune fille du bus», filmée par ses bourreaux alors qu’elle était agressée sexuellement dans un bus public par une bande de jeunes… Dans l'indifférence générale.
Voilà pour quelques cas seulement, parmi les rares qui ont pu être médiatisés.
Peut-on dire que Khadija, Oumaïma et les autres rescapées ont eu la chance de survivre? Pas si sûr… Comment se relever d’une telle violence? Comment survivre après avoir vécu une horreur telle que nous, spectateurs impuissants, ne parvenons même pas à concevoir, et préférons, pour certains, blâmer la «pseudo-victime.»
«Peut-être bien qu’elle ment?», «peut-être les connaissait-elle?», «peut-être était-elle consentante?», «peut-être les a-t-elle provoqués?», «peut-être que c’était une dépravée?»...
Voilà ce qu’on peut lire et entendre à chaque fois qu’une affaire aussi sordide que celle-ci fait la Une de la presse. Comme si chacune des réponses à chacune de ces questions pouvait justifier d’une manière ou d’une autre un crime aussi atroce.
Mais qui peut bien vouloir subir ce genre d’atrocités? Quel genre de personnes sommes-nous devenues pour voir fleurir de la sorte, au sein de notre société, de tels comportements abjects? Quelle est donc cette image de l’autre, et en particulier de la femme, qui est inculquée aux garçons dès leur plus jeune âge?
Qu’entendent-ils chez eux? Que voient-ils? Que leur apprend-on pour qu’il puissent se sentir tout-puissants, cruels, féroces, sans état d’âme, inhumains au point d’infliger de tels traitements à un être humain?
Mais ce qui nous fait encore plus enrager et désespérer de la race humaine, et de nos compatriotes en particulier, ce sont ces propos tenus par la mère d’Oumaïma, des propos qui résument la position généralement adoptée par beaucoup de familles au Maroc: «les gens me disent de ne pas trop parler dans les médias car ma fille risque de ne plus se marier. Le corps et la vie de ma fille ont été détruits. Quelle vie peut-elle encore avoir?»
Voilà, le nerf de la guerre: le qu’en-dira-t-on. Et, pour couronner le tout, pire encore, le mariage en tant qu'absolution.
C’est précisément la raison pour laquelle nombre de victimes sous nos cieux préfèrent ne pas parler, ne pas porter plainte et, de désespoir, s’ôter la vie.
Elles savent très bien qu’en parlant, elles se mettront encore une fois en danger. Car lorsqu’elles ont pu réchapper aux griffes de leurs bourreaux, c’est à la violence de leur famille qu’elles sont confrontées. Violence d’autant plus ravageuse que c’est l’honneur de tout le clan qui a été souillé lors de ce viol. Car si elles sont victimes, elles sont d’abord celles qui recèlent entre leurs cuisses la fierté et l’orgueil de leur famille, celles qui doivent bien se tenir, et se doivent de préserver ce «précieux» cadeau qui pèsera sur leurs épaules jusqu’au jour «salvateur» de leur mariage.
Alors, oui, de désespoir, combien de petites filles, de jeunes filles, de jeunes femmes, de femmes se taisent ou emportent leur secret dans le silence de leur tombe.
En attendant, c’est encore une fois d’un silence assourdissant que nous gratifie le gouvernement, et en particulier, ce cher ministère de la Solidarité, de la femme, de la famille et du développement Social… ah oui on oubliait, depuis le remaniement en 2019, il se nomme désormais le ministère de la Solidarité, du développement social, de l’égalité et de la famille.
On a fait disparaître la femme au profit de l’égalité… Comme si nous en étions déjà là, à débattre d’égalité entre les sexes, alors même qu’il est encore question de respect de la vie et de la dignité humaine.