En français, on dit «femme au foyer». «Femme assise» ou «femme au foyer». Des appellations réductrices et injustes vis-à-vis de femmes qui, sans travail rémunéré, ne passent pas leur journée au foyer et encore moins assises!
Le travail des femmes citadines était dans la maison et également dans les champs pour les rurales. Seuls les hommes travaillaient hors du foyer.
Il était honteux qu’une femme travaille. Cela signifiait que les hommes de sa famille étaient des incapables.
Seule la femme li ktafha khawyine (aux épaules fragiles), misérable, sans aide masculine, était contrainte de travailler.
Un travail non valorisant, mais utile pour les autres femmes qui étaient enfermées: qabla (sage-femme), khaddama (femme de ménage), sabbana (lessiveuse), tabbakha (cuisinière dans les cérémonies), tayyaba au hammam (qui nettoie les corps), dallala (qui va de maison en maison pour proposer aux femmes des étoffes, des caftans, des bijoux…), vendeuse à la sauvette dans la rue… Les plus méprisables étaient les chikhates (chanteuses populaires) qui égayaient les cérémonies mais étaient dédaignées parce qu’elles étaient libres et chantaient et dansaient devant les hommes.
Aujourd’hui, le travail des femmes n’est plus une honte. C’est une nécessité. Elles sont obligées de contribuer au budget des pères et des frères, des époux... Un foyer sur six est entretenu exclusivement par une femme. Elles travaillent aussi pour se prendre en charge elles-mêmes.
Les «femmes assises» sont victimes de stéréotypes et peuvent être dévalorisées. Hatta mas’ouda labrouda (ses fesses sont collées au sol), disent certains et certaines pour se moquer d’elles.
Quand je demande à une femme si elle travaille, elle est gênée: «Waaaaalou! Ghiiir addare (rien, juste la maison)!» Mais qui a décidé qu’une femme qui ne travaille pas hors du foyer est méprisable?
Mina: «Des femmes me disent que j’ai de la chance de ne rien faire! J’ai 3 enfants, un foyer, un mari et une mère malade. J’entreprends toutes les démarches administratives et je fais les courses pour l’entreprise de mon mari. Oui, je ne fais rien!»
Les femmes sans activité professionnelle passent-elles leurs journées à admirer leurs orteils au soleil? Leurs journées sont très chargées. Awatif: «Quand une femme travaille, son mari est plus clément, moins exigeant. Il peut l’aider et ne se décharge pas complètement sur elle».
Les «femmes assises» croulent sous les charges, sans la reconnaissance du mari: «Mon mari me dit pourquoi tu te plains, tu ne travailles même pas!»
Les femmes qui travaillent ont la compassion de leur entourage: Tadmare, msakhskha, mkarfsa, ammahna, maghlouba meskina (elle peine, la pauvre). Les autres sont harcelées par leurs parents, frères et sœurs, belle-famille car «elles ne travaillent pas».
Quand une femme travaille, elle peut s’organiser pour ses responsabilités familiales et conjugales. Elle fonctionne avec la montre car elle travaille à des heures fixes. Mais les autres peuvent être saturées et ont du mal à s’organiser à cause des nombreux imprévus que l’époux et l’entourage leur imposent.
Les «femmes assises» se sentent lésées: «Celles qui travaillent évoluent, rencontrent des gens. Moi, je m’abrutis face à mes casseroles. Je régresse».
L’ennui, la monotonie impactent la relation conjugale. Jaafar: «Le soir, exténué, j’aspire au repos. Mais ma femme m’attend, me demande des nouvelles de ma journée, voudrait sortir se distraire. Je sais que je la frustre!»
Beaucoup de «femmes assises» pensent que la relation conjugale est meilleure quand la femme est active. «Le mari la voit coquette, elle soigne son look, alors que moi, je circule dans ma tenue d’elkarrata (serpillière).»
Le salaire de la femme lui donne elâze, al kima (valeur). Certains hommes disent: tayssakhnou ktafha, tatadsare, tayskhoune ‘liha ras-ha (elle devient arrogante). Hind: «Quand la femme a un salaire, elle affronte le mari. Il ne peut la menacer de divorce».
Demander de l’argent au mari ramène eddel (humiliation): «Je le mendie tous les matins. Si j’ai été généreuse la nuit, il me donne l’argent avec affection. Sinon, il le fait avec mépris ou m’ignore». Frustrations ressenties même par des femmes aisées.
Certains maris allouent un budget mensuel à l’épouse. Elle se sent autonome. D’autres se déchargent: «Je traitais mon mari d’avare. Il m’a proposé de me donner son salaire. J’ai du mal à m’en sortir, mais j’ai arrêté de l’embêter!»
En arabe classique, on nomme l’épouse «maîtresse du foyer». En arabe dialectal, on dit moulate addar. Mais souvent, sans salaire, elle n’a pas de part dans la maison ou les biens acquis par le mari. «Mon mari m’a dit que c’est normal car c’est lui qui travaille. Moi aussi je travaille, mais gratuitement, pour lui et ses enfants!»
Les «femmes assises» qui sont contentes de leur situation sont plutôt de milieux plus ou moins aisés. Elles ont du personnel domestique et les moyens pour les loisirs.
La femme oisive, entourée de convives, bichonnant son corps, allongée toute la journée, mains et pieds décorés au henné, la soyeuse chevelure couvrant des coussins de soie, sirotant jus de fruits et thé à la menthe, grignotant des sucreries, avec comme seule préoccupation de séduire son homme, n’existe que dans les tableaux d’orientalistes assoiffés d’exotisme et d’érotisme.
Les «femmes assises» ne sont pas assises. Saluons ces fourmis qui s’activent discrètement, sans rémunération, sans reconnaissance.
Rêvons d’un avenir proche où ces femmes recevraient une allocation de la part de l’Etat et une pension de la part du mari, car sans elles, aucun homme ne peut s’adonner à son travail, ni acquérir un patrimoine.
Indirectement, elles contribuent grandement à l’économie du pays.