Les réseaux sociaux sont en train de tuer la liberté. Non, ce n’est pas tout à fait ça. Des utilisateurs des réseaux sociaux profitent de la technique pour déverser des propos haineux sur des personnes qu’ils cherchent à atteindre dans leur honneur et les déstabilisent. La liberté, ce n’est pas dire n’importe quoi tout en se cachant derrière un pseudo.
Le fait d’avoir à sa portée un moyen assez efficace pour faire le mal, n’est pas nouveau. Mais les ravages causés depuis quelques temps par ce canal –derrière lequel on se cache– sont très inquiétants et bouleversent le principe même de la liberté d’expression. Par ailleurs, le principe même de la liberté en prend un coup. Il paraît que, depuis 2011, la police et la justice surveillent avec des moyens techniques sophistiqués, acquis à l’étranger, ce qui se dit et s’échange dans les réseaux sociaux. C’est important et utile quand il s’agit de la lutte contre le terrorisme. Ça ne l’est pas du tout, quand il est question de propos d’ordre privé qui ne menacent pas la paix dans le pays.
Très tôt les Marocains se sont emparé des réseaux sociaux avec dextérité et intelligence. Les nouvelles techniques de communication n’eurent pour la plupart d’entre eux aucun secret.
Il y a la technique, et il y a la morale. Normalement, l’outil devrait être au service d’une éthique qui vise le progrès social. Mais, comme toute chose à double tranchant, le comportement des uns a oublié la morale et le respect de la vie des autres.
L’affaire, nommée Hamza mon bb, est assez représentative de ces dérives dont les conséquences sont très préoccupantes.
Un exemple: en France, des adolescents ont réussi à pousser au suicide d’autres jeunes gens, en les submergeant de propos diffamatoires, sorte de harcèlement largement diffusé au point de rendre la vie des destinataires infernale et provoquer des réactions fatales. Une loi a été déposée au parlement afin de protéger les citoyens de cette folie anonyme qui fonctionne comme un assassinat.
Chez nous, les instances judiciaires réagissent. Des arrestations ont eu lieu parmi des personnalités connues, soupçonnées d’être de la partie dans cette affaire. On verra, si un procès a lieu, jusqu’où la justice s’étendra.
En même temps, la police a arrêté des personnes qui ont osé critiquer le gouvernement ou certains juges. L’affaire du journaliste Omar Radi a provoqué des réactions salutaires au Maroc et ailleurs. Heureusement, il a été libéré et doit passer en justice le 3 mars, en étant libre. Son crime? Avoir critiqué, en tant que journaliste et citoyen, un juge, dans l’affaire des inculpés du Hirak. Il a été poursuivi le 26 décembre 2019 pour «outrage à magistrat dans l’exercice de ses fonctions».
Il avait publié sur Twitter une opinion critiquant la confirmation en appel des peines des détenus du Hirak. Il n’a pas été le seul citoyen marocain à avoir trouvé excessif le jugement de ces inculpés et l’a exprimé sur l’un des réseaux sociaux les plus suivis.
Mais entre l’affaire Hamza mon bb et le tweet d’Omar Radi, il y a plus qu’une différence de genre. L’un a recours à l’anonymat pour diffamer des artistes dans le but de leur nuire et les empêcher d’occuper un espace convoité, l’autre, un journaliste, dit ce qu’il pense d’un jugement. Il ne s’est pas caché pour faire sa critique. Ne confondons pas les deux affaires. Il est urgent que la police fasse taire des individus masqués et les présente à la justice. Il n’est pas normal, dans un pays qui prétend être démocratique, de mettre en prison un journaliste pour un délit d’opinion.
L’hebdomadaire TelQuel a recensé dans son numéro 887, 13 cas de citoyens ayant été condamnés pour avoir critiqué, à travers les réseaux sociaux, le gouvernement et dénoncé le manque de justice dans le pays. Certains ont été graciés, d’autres sont encore en prison.
En 1987, le philosophe Gilles Deleuze prononçait une conférence, «L’information et la société de contrôle». Pour lui, «informer, c’est faire circuler un mot d’ordre», ce qui tue la liberté.
Au delà de l’imagination d’Orwell, Deleuze décrivait notre monde actuel: tout citoyen est suivi et contrôlé. En Chine, un système à points félicite ou condamne les citoyens qui vivent sous l’œil d’un contrôle absolu et diabolique.
La technologie la plus avancée n’a d’intérêt que si elle est accompagnée d’une morale qui permet l’exercice et le respect de toutes les libertés, la sienne et celle des autres. Sinon, c’est le chaos, qui prépare «l’Etat sauvage». Ainsi, on pourrait paraphraser une phrase célèbre, et dire «une technologie sans éthique, n’est que ruine de l’âme»!