Marrakech la belle est pleine de trous

Famille Ben Jelloun

ChroniqueMarrakech, vitrine du tourisme au Maroc, mérite qu’elle soit mieux traitée, mieux gérée et qu’elle donne envie à ceux et à celles qui viennent la visiter de très loin d’y revenir. Or un touriste qui se casse la jambe parce que son pied s’est pris dans un trou, ne reviendra pas.

Le 06/01/2020 à 11h00

La lumière de Marrakech en ce début d’année est d’une beauté exceptionnelle. C’est sans doute ce qui attire un nombre de plus en plus important de touristes. Les hôtels affichaient complets pour la fin de l’année. Les commerçants sont contents. Les montagnes qu’on peut voir à partir de Guéliz portent un superbe chapeau de neige. Le bleu du ciel rivalise avec celui de Klein ou de Majorelle. Bref, Marrakech est un petit paradis qui comble de satisfaction les golfeurs et aussi les simples touristes à pied.

Mais Marrakech a cependant quelques problèmes qui sont indignes de sa réputation et de ce qu’elle est capable d’offrir aux visiteurs.

Autant, sinon plus que Paris, Marrakech est sale, ça se voit et ça se sent. Des poubelles traînent au coin des rues. Elles sont pleines à craquer. Beaucoup d’immondices sont par terre, ce qui fait l’affaire des chats et des chiens errants. J’ai même aperçu quelques rats étourdis par tant d’abondance.

Paris est sale parce qu’elle est gérée par une maire incompétente et qui a enclenché en même temps des milliers de travaux dans pratiquement tous les quartiers.

Marrakech n’est pas en travaux, mais il y a des terrains vagues et des constructions inachevées.

C’est cet aspect qui pose problème. Je voudrais demander à l’ingénieur, au technicien, au maçon ou simplement à l’homme à qui on a confié le tracé des trottoirs, comment se fait-il que les trottoirs de la ville sont pleins de trous? J’ai entendu un touriste, probablement anglais, dire : «à Marrakech, il ne faut pas voir le ciel, mais il faut avoir les yeux fixés sur le sol si on ne veut pas faire une chute fatale!».

Cet homme a résumé la situation. Pourquoi certains trottoirs n’ont pas la même hauteur par rapport à la chaussée d’un endroit à un autre? Il n’y a aucune logique.

Autre remarque: je voudrais qu’on m’explique le fonctionnement des feux rouges. Ainsi, sur le boulevard Mohammed V, le feu est ambigu. Une partie est verte, le piéton peut traverser, mais arrivé au milieu de la chaussée, il se trouve alors face à un feu rouge, et doit attendre qu’il passe au vert pour traverser. Pendant ce temps-là, il risque d’être fauché par les voitures venant en sens inverse. C’est un cauchemar qui rappelle ce qu’avait fait, boulevard Montparnasse et Magenta, l’ancien maire de Paris, M. Delanoë. Aucune logique, aucune rationalité.

Des trous et des feux rouges mettant en danger la vie des piétons. Dans d’autres villes du royaume, comme à Tanger, les automobilistes s’arrêtent au passage clouté réservé aux piétons. A Marrakech, les voitures foncent, et c’est au piéton de les éviter. Rien n’est fait pour respecter le piéton. Il risque sa vie chaque fois qu’il tente de passer d’un trottoir à un autre.

J’ai aussi remarqué que les automobilistes ne s’arrêtent pas au Stop. Pas tous, mais certains avancent et passent sans penser à l’accident possible.

Marrakech est connue pour ses vélos et motos. Alfred Hitchcock l’avait montré dans «L’homme qui en savait trop», dans la scène filmée place Jamaa el Fna. Ici, on roule en moto sans casque, ou alors on pose sur la tête une sorte de faux casque. Pourtant, c’est simple. La mairie ou la wilaya ou la commune devraient faire la chasse aux motocyclistes sans casque. Pas une amende, mais on leur confisque la moto. Si on pratique ce genre de punition, vous verrez, tous les utilisateurs de vélos et motos porteront un casque. Pourtant, il en va de leur propre sécurité.

Mais rien n’est fait. Les accidents sont nombreux. Et l’on se demande pourquoi l’Etat, ou simplement la mairie ou la wilaya, ou encore la commune, laissent faire. Il suffit de boucher les trous des trottoirs; revoir la logique des feux afin qu’ils soient synchronisés et permettent au piéton de traverser tranquillement. Imposer le port du casque, ne doit pas être compliqué. Ne pas s’en préoccuper, relève de l’inconscience, ou de l’incompétence, ou des deux à la fois.

La ville n’est pas pauvre. Il y a des pauvres, des mendiants, des laissés-pour-compte, mais il y a aussi beaucoup de richesse, de fortunes et de potentialités pour qu’il y ait moins d’inégalités et moins de précarité.

Autre scandale (j’en avais parlé l’an dernier): l’exploitation honteuse des chauffeurs des Petits Taxis. Je rapporte mot pour mot ce que deux chauffeurs m’ont dit: «le taxi appartient à un monsieur qui a eu la chance d’avoir lagrima (l’agrément). Il possède une dizaine de véhicules qu’il loue aux chauffeurs, lesquels doivent lui remettre chaque jour la somme de 500 DH. Faites le calcul : 500x10 = 5 000 X par 30 = 150 000 dirhams par mois! Voilà un homme qui n’a plus besoin de travailler, il ramasse les dirhams qui tombent, exploitant le malheur dû à la pauvreté qui obligent des hommes à se contenter d’un salaire de misère». Ce scandale, si les chiffres que m’ont fournis les deux chauffeurs sont exacts, relève de la justice. Mais personne ne parle pour ces damnés de la bonne terre marocaine.

Marrakech, vitrine du tourisme au Maroc, mérite qu’elle soit mieux traitée, mieux gérée et qu’elle donne envie à ceux et à celles qui viennent la visiter de très loin d’y revenir. Or un touriste qui se casse la jambe parce que son pied s’est pris dans un trou, ne reviendra pas. Il gardera de Marrakech et du Maroc le souvenir d’une jambe en plâtre ou d’un col du fémur en piteux état.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 06/01/2020 à 11h00