Si Mohamed Ben Salman (MBS), l’actuel prince héritier du trône saoudien avait lu, étudié et compris le grand historien et premier sociologue arabe Ibn Khaldun, s’il avait lu, étudié et compris les pièces de William Shakespeare, il n’aurait pas commis autant d’erreurs et de fautes politiques en si peu de temps. Mais on imagine le genre d’éducation qu’il a reçue et surtout les valeurs qu’on lui a inculquées. Le fait même d’avoir, le 21 juin 2017, écarté l’héritier légitime, son cousin Mohamed Ben Nayef Al Saoud, et pris sa place en dit long sur la déontologie politique de ce prince tellement pressé d’exercer le pouvoir.
L’Arabie Saoudite est un Etat religieux. Le pays suit le rite wahabite du nom de Mohmed Abdelwahab, un théologien du XVIIIe siècle qui prône une lecture littéraliste du Coran, ce qui donne un islam dur, fanatisé et sans aucune ouverture sur le monde moderne. La peine de mort –la tête tranchée par le sabre sur place publique– et les coups de fouet sont des pratiques courantes pour les citoyens qui ont commis des délits ou des crimes. La condition de la femme est, malgré le fait qu’elle a acquis depuis quelques mois le droit de conduire une voiture, la pire du monde arabe et musulman.
C’est dans ce cadre hyper-conservateur, avec des coutumes appartenant à un autre temps que ce pays fait de plus en plus parler de lui. Depuis l’arrivée de MBS au pouvoir, une partie du destin de l’Arabie Saoudite est entre les mains de l’Amérique et d’Israël. MBS s’est engagé à débourser 300 milliards de dollars pour l’achat d’armements américains. Il s’est discrètement rapproché d’Israël qui lui vend des conseils et le pousse dans son projet de guerre contre l’Iran. La guerre stupide et injuste qu’il a déclarée au Yémen en vue de massacrer les chiites, est l’amorce d’une probable confrontation avec l’Iran, qui est une grande nation, bien armée, bien structurée et qu’Israël n’a pas réussi à mater.
C’est sans doute pour avoir critiqué l’intervention armée saoudienne au Yémen que le journaliste Jamal Khashoggi, de nationalité saoudienne mais vivant aux Etats-Unis, a disparu. Cela rappelle le cas du leader de l’opposition marocaine Mehdi Ben Barka qui a été enlevé le 29 octobre 1965 par des policiers français qui rendaient service à leurs collègues marocains. On n’a jamais retrouvé le corps. Cette disparition a pesé très lourdement et durant des décennies sur les relations entre la France et le Maroc.
La disparition de Jamal Khashoggi aura des conséquences énormes sur l’avenir de l’Arabie Saoudite. Pour le moment, les Turcs font une enquête. Si on arrive à prouver que le journaliste a été assassiné dans le consulat, donc en territoire saoudien, le prince héritier Mohamed Ben Salman aura à rendre des comptes non seulement à l’Amérique où Jamal travaillait, mais au monde entier. MBS sera rendu responsable de ce crime. Ses amis américains et israéliens ne pourront rien pour lui. Au contraire, ils feront tout pour lui mettre ce crime sur le dos. C’est ce que Trump vient de déclarer en le menaçant de sanctions graves.
Cette affaire en dit long sur l’état d’esprit de ces Saoudiens qui, parce qu’ils ont du pétrole, pensent pouvoir tout faire et tout entreprendre sans rendre des comptes à la morale politique, à la culture et à la civilisation. Dans ce pays, l’individu n’est pas reconnu. C’est le clan et la famille qui priment. De ce fait, quand un citoyen s’érige comme individu, en tant qu’entité unique et singulière, –c’est le cas du journaliste Jamal Khashoggi–, il ne peut que gêner un pouvoir autoritaire.
Il est quand même honteux d’entendre un Trump clamer avec virulence que ce pays «ne tiendrait pas deux semaines sans l’appui des Etats-Unis». C’est encore plus honteux de découvrir la réponse saoudienne : «l’Arabie Saoudite existait avant l’Amérique !». Ce pays qui porte le nom d’une famille (les Saoud) n’existe en tant qu’Etat que depuis peu. Le fait qu’il soit gardien des lieux saints de l’islam (la Mecque et Médine), lui donne une certaine légitimité historique qui n’a rien à voir avec la politique. C’est d’ailleurs la critique principale que formule depuis toujours l’Iran. Pour lui, ces lieux saints appartiennent à tous les musulmans et devraient être gérés à tour de rôle par d’autres Etats musulmans.
Tout le monde attend des explications sur ce qui s’est réellement passé dans le consulat saoudien à Istanbul. Les médias et les instances politiques dans le monde ne laisseront certainement pas passer un tel mystère.
Le Maroc, jusqu’à aujourd’hui, est sommé par des historiens de dire au monde ce qui s’est passé ce 29 octobre 1965 dans une villa de Fontenay-le-Vicomte où Mehdi Ben Barka est entré et n’est plus jamais sorti.
La tenue du 23 au 25 octobre à Ryad du sommet «Davos du désert» est déjà compromise. Beaucoup de participants ont décliné l’invitation. MBS ne pourra plus nous parler de modernité et de «Vision 2030» à moins qu’on ne découvre que Jamal Khashoggi est vivant et qu’il n’a rien à reprocher aux agents saoudiens du consulat à Istanbul.