L’héritage, qu’il soit important ou insignifiant, suscite partout et de tout temps des polémiques, des disputes, des haines et un peu de folie. Aucune société n’y échappe. Certaines familles s’en sortent mieux que d’autres. Mais dans l’ensemble, l’espoir d’acquérir des biens et de l’argent par succession bouleverse des vies et parfois les mène vers l’enfer de l’absurdité. C’est souvent l’occasion pour que les vieilles rancunes, les névroses cachées, les hypocrisies retenues fassent surface et dévoilent le visage véritable des êtres.
Je me souviens de deux frères qui se sont déchirés de manière atroce durant des années et ont fini par ne plus s’adresser la parole et mourir sans pardonner. Tout cela pour une petite maison dans la médina dont la valeur était plus sentimentale que financière. Durant une vingtaine d’années, non seulement ils ne se parlaient plus, mais ils avaient interdit à leurs enfants de se voir et à leurs épouses de se fréquenter. C’était la guerre. Impossible d’inviter l’un avec l’autre. Je me souviens lors d’un mariage, l’aîné appelle le père du marié et lui demande: si tu as invité le chien, ne compte pas sur moi. Une demi-heure après celui surnommé «le chien» téléphone et pose la même question et désigne son pire ennemi par «charogne» (Jiffa). Finalement ni l’un ni l’autre n’ont assisté au mariage.
Cette histoire, toute la famille l’a vécue comme un drame collectif. Leur père était un petit fonctionnaire dont la retraite était si minime qu’elle avait à peine suffi pour payer les funérailles. Pourtant le peu de bien qu’il avait laissé a été à l’origine d’une guerre civile à l’échelle de la famille. Car il fallait prendre position. Tu es avec moi ou avec l’autre?
Finalement, aujourd’hui, ils sont tous sous terre et leurs enfants se connaissent à peine. La guerre a laissé des traces. Quant à la maison, elle s’est écroulée un jour de forte pluie, fatiguée de tant de haine, de bagarres et de bêtises. Oui la maison a disparu et personne n’a voulu l’acheter parce qu’elle aurait été frappée par le malheur.
Aujourd’hui la presse suit le feuilleton de la succession de Johnny Hallyday comme si c’était une affaire d’Etat. Mais nous retrouvons dans ce scénario, les mêmes réflexes: la belle-mère qui se venge des autres épouses et de leurs enfants, des rancœurs anciennes se révèlent, des procès sont intentés et se compliquent avec des législations différentes. C’est la guerre. Certaines personnes proches de la star disparue prennent position. Derrière les testaments, des interprétations se contredisent. Alors on revient à la personnalité du défunt, à son tempérament, à ses faiblesses et à ses qualités. Les uns disent «impossible que Johnny ait déshérité David et Laura; il les aimait»; l’amour se mesurant à l’argent légué; d’autres rappellent le côté faible de la star qui ne voulait pas se compliquer la vie et mettait tout entre les mains de la seule femme qui a su le retenir et même lui donner un équilibre. Cependant derrière cette jeune épouse, il y a une famille soudée et qui veille à ses intérêts. Pour le moment, la guerre se fait à travers la presse et les avocats.
Le butin est estimé entre 30 et 40 millions d’euros. La guerre en vaut la peine! Mais les deux frères marocains se sont fait la même guerre pour quelques milliers de dirhams. Pourtant, s’ils avaient un peu d’humanité en eux, un peu d’égard pour les choses de l’esprit, peut-être qu’ils auraient évité ce désastre. Mais l’héritage est le révélateur puissant et inattendu des secrets les plus enfouis d’une famille. Des meurtres sont commis. Des destructions sont possibles. L’argent, le goût de l’argent, l’odeur de l’argent, la passion pour l’argent non seulement rendent fou, mais saccagent des vies. Adoptera-t-on un jour le système britannique «le droit d’aînesse» où seul l’aîné hérite? Il est injuste et ne va pas sans encombre et problèmes.
Un jour, on verra une société interdire l’héritage. Cela changera la face du monde. Chacun ne doit compter que sur lui-même, sur son travail, sur ses capacités. On hérite des gènes, un tempérament, des traits de caractère, mais pas d’argent. On transmettra des valeurs, des principes, des humanités. Ainsi la notion de responsabilité s’imposera à tous et le jour de la disparition d’un milliardaire ressemblera à la mort d’un pauvre. De toute façon ils seront égaux dans le cimetière.