L’Espagne a été un piètre colonisateur. Au moment de l’indépendance du Maroc, le nord du pays était dans un état misérable. Les Espagnols sont passés par là et n’ont rien laissé de bon. Ils étaient pauvres et souffraient le martyre sous la dictature de Franco. Mais après la mort de celui-ci, laquelle a coïncidé avec la restitution du Sahara au Maroc et à la Mauritanie, on aurait pensé qu’une nouvelle page allait s’ouvrir entre les deux pays dans un esprit d’égalité et de coopération, sans arrière-pensées. Certes les présides de Sebta et Melilla étaient dans l’esprit des dirigeants des deux pays, pensant qu’avec l’arrivée de la démocratie et le développement d’un Etat qui entrait dans l’Europe, la chose trouverait une solution honorable et juste.
Par une lettre datée du 26 février 1976, adressée au secrétaire général des Nations Unies, le gouvernement espagnol écrit: «l’Espagne se déclare détachée de toute responsabilité internationale en ce qui concerne l’administration du Sahara». Elle s’en lave les mains! Pas vraiment.
Les premières années, après le franquisme, étaient consacrées à la reconstruction d’un Etat démocratique. Les socialistes arrivèrent au pouvoir. Felipe Gonzalez déclarait son amour pour le Maroc. Très proche de feu Hassan II, il faisait tout pour que l’Espagne devienne le premier partenaire commercial du Maroc, et le Maroc, le premier partenaire commercial de l’Espagne en Europe. Ce qui est encore le cas aujourd’hui.
Ce grand amour se taisait sur deux points essentiels: Sebta-Melilla et le Sahara marocain. Une discrétion qui allait disparaître avec l’arrivée de la droite au gouvernement dirigé par Aznar, celui qui, en 2003 donnera tout son appui à G. W. Bush qui envahit l’Irak et détruisit cette société.
Déjà, en juillet 2002, le monde se réveilla avec un conflit ridicule à propos d’un îlot situé à 200 mètres des côtes marocaines et occupé par une vingtaine de soldats espagnols. L’île de Persil ou l’île Leila faillit déclencher une guerre entre les deux pays. Il avait fallu l’intervention de l’Amérique pour que le calme revienne dans ce «clou de joha» où le drapeau espagnol était planté.
L’histoire entre l’Espagne et le Maroc est compliquée et peut être lue de manière psychanalytique. Trop de complexes non avoués, un racisme anti-Mauro ancestral (depuis Isabelle la Catholique et l’Inquisition, à partir de 1492), et un regard détourné du sud vers le nord. C’est l’Europe que l’Espagne regarde et envie. N’oublions pas les ratonnades au village andalou d’El Ejido où, en janvier et février 2000, des Marocains avaient été pourchassés et tabassés comme à l’époque de l’esclavage.
Entre-temps, des hommes politiques de qualité ont entretenu des liens forts et amicaux avec le Maroc, comme Zapatero et Moratinos, entre autres.
Aujourd’hui, nos amis ne sont plus au pouvoir et le gouvernement a admis en son sein un ennemi idéologique du Maroc et de son intégrité territoriale, le parti d’extrême-gauche Podemos.
Non seulement il soutient de toutes ses forces le Polisario, mais pousse le gouvernement à privilégier l’Algérie à cause du gaz.
Tout cela a préparé le lit à un scandale: l’admission sous un faux nom du chef du Polisario, accusé par ailleurs de viols, de meurtres et de bien d’autres méfaits.
Une fois le pot-aux-roses dévoilé, l’Espagne s’est réfugiée dans l’aspect humanitaire, sachant que l’Allemagne avait refusé d’accueillir dans ses hôpitaux un homme poursuivi pour des actes graves.
Derrière tout cela, il faut noter deux points :Il me paraît que la diplomatie secrète marocaine aurait négligé le voisin du nord, et n’aurait pas travaillé à sécuriser la relation.
L’autre point serait, d’après moi, la volonté de l’Espagne de rejoindre l’Algérie afin d’empêcher que le Maroc ne devienne une puissance émergeante qui pourrait la gêner. Les grandes réalisations du Maroc de ces dernières années, notamment le succès de Port Tanger-Med et le projet du même genre à Dakhla, inquiètent une Espagne qui aurait sous-estimé les capacités marocaines.
Mais au-delà de cet aspect plutôt mesquin, l’Espagne est tombée dans un piège lancé par l’Algérie, une façon de créer une brouille épaisse avec le Maroc. Il me semble que si le gouvernement espagnol actuel retrouve sa lucidité, il devrait marquer d’une façon spectaculaire sa réconciliation avec le voisin marocain en reconnaissant la légitimité du Sahara marocain. Qu’il arrête de se laisser berner par le poison algérien, ainsi que les chantages d’une politique intérieure, et qu’il choisisse la cohérence historique, lui qui avait occupé ce territoire et l’a restitué de manière bâclée.