On l’a maintes fois constaté: dans notre société, tout ce qui évolue et bouge dans le sens du progrès et de l’humanisme, c’est aux femmes que nous le devons. Au Maroc la société civile est entre les mains de femmes courageuses, décidées à veiller sur les droits des laissés-pour-compte, que ce soient des femmes violentées et abandonnées ou des enfants abusés, ou des personnes survivant dans une précarité physique et morale. Elles «réparent les vivants», selon la belle expression de la romancière Maylis De Karangal (2013; Gallimard) et restent vigilantes quant à la dignité des citoyens.
Asma Lamrabet est non seulement une grande intellectuelle, mais aussi une militante courageuse, une femme progressiste qui a lutté contre la lecture littéraliste, rigoriste et patriarcale des textes de l’islam. Cette ancienne directrice du Centre d’études féministes en islam siégeait depuis dix ans avec des théologiens qui sont des gardiens du temple et des conservateurs qui, apparemment, n’ont pas pu tolérer en leur sein une femme libre et émancipée surtout quand elle a pris des positions audacieuses.
Rejoignant l’école de l’intelligence et de la raison, cette femme a fait une lecture progressiste et moderne des textes. Sa foi n’étant pas en cause, elle a fait confiance à l’humanisme d’un islam bien compris et surtout adapté à l’évolution de la société et de l’histoire. Comme le souligne Mahmoud Hussein (pseudonyme de deux écrivains égyptiens) dans Penser le Coran (Folio), «Dieu lui-même est Raison. Il a donné aux humains la puissance d’agir librement, à partir de quoi, Il les sanctionnera, à la fin des temps, en fonction de leurs actes».
C’est à propos de l’égalité entre homme et femme dans l’héritage qu’Asma Lamrabet a dû s’en aller, répondant ainsi aux pressions des Oulémas pour qu’elle démissionne. Elle soutient, avec d’autres chercheurs et intellectuels, le projet d’une loi établissant cette égalité, laquelle serait une normalité, car la femme travaille autant que l’homme et qu’il n’y a plus aucune raison qu’elle soit traitée en être inférieur.
La Rabita Mohammedia des Oulémas ne pouvait que s’opposer à une telle dérogation aux textes. Asma dès le début a milité pour ce qu’elle appelle «la troisième voie, celle d’un islam apaisé, contextualisé et en phase avec les valeurs humanistes universelles compatibles avec nos valeurs culturelles». Cette position, la seule garantissant aux musulmans une présence respectée et paisible dans le monde, est combattue par ceux qui refusent le primat de la Raison, c’est-à-dire de l’intelligence et du progrès.
Aujourd’hui l’islam fait la Une des médias dans le monde. Pour de mauvaises raisons. Il n’apparaît pas comme une religion de paix et de tolérance. Bien au contraire, son image est loin d’être apaisée, loin de rassurer et de calmer les esprits. Son image a été confisquée par le terrorisme le plus abject puisqu’il prétend agir en son nom. Peut-être que les Oulémas ignorent la dégradation de l’image de l’islam dans plusieurs pays. Peut-être qu’ils pensent que l’islam est plus fort que toutes les images qui tentent de le salir et de le mêler au jihadisme terroriste. Alors qu’ils sortent de leur discrétion et qu’ils tendent l’oreille. L’attitude d’Asma Lamrabet aurait dû les pousser à réfléchir et à se remettre en question. L’islam accepte l’effort d’interprétation (c’est le premier sens du jihad), il tolère que le croyant s’adapte à l’environnement dans lequel il vit.
Qu’est ce qu’il y a de plus logique, de plus rationnel et de plus humain que d’établir une égalité entre l’homme et la femme quand il s’agit d’héritage? En quoi cela heurterait les convictions de ceux dont la fonction est d’expliquer les textes et de prendre des initiatives pour vivre la religion dans une cohérence où la justice prendrait le pas sur des traditions dépassées?
L’islam ne peut pas changer, mais les musulmans peuvent changer, ils ont même le devoir de changer et de vivre leur foi dans un contexte où la modernité, où la démocratie consistent à respecter l’égalité entre les êtres, à célébrer les valeurs fondamentales de l’islam humaniste en tenant compte de l’évolution de la société. Au Maroc, le rite malékite est celui de la modération et de la tolérance. On ne lapide pas la femme adultère, on ne coupe pas la main du voleur, et on ne condamne pas à mort celui qui sort de l’islam. Le rite malékite n’a rien à voir avec le wahhabisme tel qu’il sévit en Arabie saoudite ou au Qatar. Alors que les théologiens marocains entendent le message d’Asma Lamrabet et qu’ils en tiennent compte afin de donner l’exemple d’un islam moderne, soucieux de garantir la justice et l’égalité entre l’homme et la femme devant le droit. En islam intelligemment compris, il y a une valeur essentielle, celle de la justice, et de ce fait toute discrimination est rejetée.