Quand on arrive au Danemark venant de France par exemple, on est très agréablement surpris par le calme et la sérénité ambiants. Cela ne veut pas dire que les Danois ne connaissent pas de problèmes, mais ils affirment que c’est «le pays du bonheur». Cela ne transparaît pas de manière évidente. Disons qu’ils ont réglé il y a longtemps la question des relations entre les hommes et les femmes. Egalité, parité. Tout le monde est sur le même plan. Pas de tension, pas d’ambiguïté, pas de violence. Surtout, le respect des lois est très strict. On le voit dans la manière de conduire.
Je suis arrivé à Copenhague de Tanger où j’ai vu cet été plusieurs fois des fous furieux doubler notre voiture dans des virages, ne pas s’arrêter dans un stop et dépasser la ligne continue en roulant à tombeau ouvert (22 morts cette semaine sur les routes marocaines). Chose qu’un Danois normal ne ferait jamais. C’est une question d’éducation; la notion de respect est fondamentale. Pour vivre ensemble, il est essentiel de respecter les codes, les lois, le droit et les devoirs. C’est normal. C’est acquis dès l’enfance aussi bien à l’école qu’à la maison. Chose qui fait cruellement défaut chez nous. On a l’impression que le principe d’éducation a été oublié ou devenu secondaire. De même, des Marocains se sont mis à se faire justice eux-mêmes, ce qui est le signe d’une absence de confiance dans l’Etat de droit et de son système judiciaire.
J’ai rencontré là un homme heureux, un immigré marocain, installé dans la région de Copenhague depuis une vingtaine d’années. Il est le meilleur défenseur de ce pays, de ses traditions, de son système politique, de sa vie quotidienne. Je rapporte de mémoire ce qu’il m’a dit:Au Danemark personne ne parle de démocratie, simplement parce qu’elle existe de manière naturelle et qu’on n’a pas besoin de la revendiquer. Elle fait partie du paysage. C’est une réalité qui se constate quotidiennement. Elle est à l’œuvre pas uniquement dans la politique mais aussi dans les rapports entre les gens. Un ministre ne se déplace pas en voiture avec gyrophare. En dehors des heures de travail, il prend comme tout le monde son vélo et s’arrête au supermarché acheter ce qui manque à la maison. On se souvient de l’excellent feuilleton danois «Borgen» qui raconte comment une femme deviendra premier ministre. On la voit chez elle préparer le dîner, manger avec son mari et ses enfants, puis à eux deux ils débarrassent la table et font la vaisselle. Dans ce feuilleton, on voit un premier ministre démissionner immédiatement quand il se rend compte qu’il s’est trompé de carte bancaire pour régler un achat de sa femme. Même s’il ne l’avait pas fait exprès, avant même que l’opposition lui demande de partir, il démissionne et reconnaît sa faute qui est en fait une erreur.
Cette simplicité, cette modestie, cette relation juste et élégante au pouvoir est un signe magnifique de la démocratie. Evidemment, impossible de comparer avec ce qui se passe chez nous où des hommes de pouvoir maltraitent avec arrogance leurs subordonnés, se croient importants en circulant en limousine avec chauffeur. On apprend aux Marocains à subir les humiliations, ce qui les pousse à en faire de même le jour où ils accèdent à un poste de pouvoir. Les abus, le mépris, les insultes sont courants dans certaines administrations.
On devrait envoyer certains chefs faire un stage au Danemark où on obtient tout sans crier, sans humilier. Ce n’est pas une société parfaite, mais elle tend vers un équilibre qui facilite la vie.
Cela étant, il y a une ombre dans ce tableau idyllique. L’immigration représente environ 10% de la population (moins de six millions). La droite est au pouvoir et est soutenue par un parti d’extrême droite qui, comme en Italie ou en Pologne et bientôt en Suède, réclame la fermeture des frontières. Depuis qu’un journal de Copenhague a publié des caricatures du Prophète Mohammad, une vague d’islamophobie est dans l’air. En cela, certains Danois suivent ce qui se passe dans les autres pays européens. Il n’en reste pas moins que le Danemark est un pays de haute civilisation où la culture arrive au premier plan.
L’immigré heureux me demande ce qui m’a amené au Danemark. Je lui réponds: un important festival littéraire. Je lui raconte:Le musée en plein air de Louisiana (à une vingtaine de minutes de la capitale) est au bord de la mer. C’est une merveille. Il y a aussi le musée classique, intérieur, qui présente des trésors de la peinture contemporaine. C’est dans ce cadre qu’est organisé tous les ans, la dernière semaine d’août, un festival littéraire international. Une assistance nombreuse, cultivée et qui est curieuse des cultures des autres. Impossible de distinguer le directeur de ce musée, mondialement connu et apprécié, des participants ou des jeunes gens du staff. Cette simplicité, cette modestie se retrouvent un peu partout.
Là dessus, l’immigré heureux ajoute:C’est cela le Danemark. Pas besoin de tapage pour être reconnu. C’est un peuple bien éduqué qui, malheureusement est en train de se replier sur lui-même et n’hésite pas à manifester sa peur de l’islam qu’il confond avec l’extrémisme islamiste.
Avant de nous quitter, il se penche sur moi et me murmure: «c’est un peu de notre faute, aussi, n’est-ce pas?». Oui, bien sûr!