La grande évasion de Carlos Ghosn a passionné le monde. Avant son arrestation en novembre 2018 par ses «amis» japonais (il avait redressé la société Nissan), personne ne doutait de ses compétences et de son génie.
Cet homme, qui disposait de trois passeports (brésilien, libanais, français), ne pouvait pas admettre les méthodes exceptionnellement sévères de la justice japonaise. Comme il l’a déclaré dans sa conférence de presse: «j’étais comme décédé». Tout avait été fait pour le punir et le faire tomber à terre. C’était sans compter sur deux éléments : l’intelligence remarquable et les moyens colossaux dont il dispose.
Quand on a de l’argent et la capacité intellectuelle de l’utiliser, l’évasion devient envisageable. Il faut dire que Carlos Ghosn a pris des risques énormes. C’était «quitte ou double», à «la vie à la mort», «le tout pour le tout». Imaginez s’il avait été intercepté par la police nippone. Il aurait subi les pires maltraitances.
Mais voilà, il a réussi. Le monde entier (sauf les politiques) a exprimé son admiration pour cette «grande évasion» qui a laissé les gens bouche bée. Le tout a duré 24 heures. De Tokyo, il rejoint l’aéroport de Kansai, à Osaka. 600 kilomètres. Sept heures de route en voiture. Un jet privé immatriculé en Turquie l’attend à l’aéroport réservé à l’aviation privée. Là, les versions divergent. Des journalistes ont parlé d’une malle de musicien où il aurait été caché comme une marchandise. Les personnes ayant préparé la fuite avaient constaté que les bagages des avions privés sont rarement contrôlés dans cet aéroport. Il n’a pas confirmé cette éventualité; il a refusé d’évoquer les moyens utilisés pour sortir du Japon. Qu’importe. L’affaire a été montée par des experts de grande compétence. Cela coûte énormément. Carlos Ghosn a les moyens de payer.
D’Osaka, il débarque à l’aéroport Atatürk d’Istambul. De là, il s’envole, libre, vers le pays natal de ses parents, le Liban.
Cette affaire est fascinante. Carlos Ghosn a prouvé, une fois encore, qu’il est capable de sortir d’une impasse et surtout d’une condamnation certaine à plusieurs années de prison. L’ingénieur, le patron qui sait redresser les sociétés en difficulté, s’est occupé de son propre cas, celui d’un homme pris au piège de son comportement avec les Japonais. Il a traité sa propre affaire comme si c’était une société en crise, vouée à une mort certaine. Il s’est appliqué à lui-même les méthodes d’un sauvetage risqué et tellement audacieux que personne n’y aurait pensé.
Car ce qui a réellement motivé son arrestation et le traitement inhumain qui a suivi, ce n’est pas ce que la justice de Tokyo a avancé (ne pas avoir déclaré des sommes énormes au fisc), mais c’est une vertu à laquelle les Japonais en général sont très sensibles: l’honneur. Carlos Ghosn, de l’avis de beaucoup d’observateurs, aurait plusieurs fois humilié ses interlocuteurs japonais. Il les aurait méprisés; il se serait adressé à eux avec cette arrogance orientale qui fait mal.
Tout viendrait de là.
Carlos Ghosn dit «ne pas avoir échappé à la justice, mais avoir pris la fuite face à l’injustice». Peut-être, mais à aucun moment, il n’a reconnu que par son comportement, celui d’un homme convaincu qu’il est un génie, donc supérieur à tout le monde, a poussé les Japonais à se venger. Et leur vengeance a été terrible.
Normalement, une autre personne dans les mêmes conditions aurait craqué et même tenté de mettre fin à ses jours. Lui, en tant que «surhomme», a résisté et a préparé durant des nuits et des jours le scénario de son évasion. C’est tout à fait naturel que Netflix et d’autres producteurs de cinéma aient pensé à faire un film ou un feuilleton de cette histoire vraiment incroyable.
Enfin, un dernier point. Certains se sont demandé comment se fait-il que la police japonaise ait manqué de vigilance. Là, c’est encore la notion de respect du droit et de la loi, qui est une chose qu’un citoyen nippon, qui est censé avoir le sens de l’honneur, ne transgresse jamais. Pour la justice japonaise, un homme assigné à résidence ne profitera pas de sa liberté pour s’évader. C’est là une question de principe et du respect quasi-religieux de la parole donnée. C’est un point d’honneur caractéristique de la civilisation du Japon. Dans ce pays, en dehors de la Mafia et de quelques marginaux, on ne vole pas. On respecte le droit et la parole donnée. Quand un Japonais manque à ce code de l’honneur, la tradition veut qu’il se supprime, il se fait harakiri. Carlos Ghosn n’est pas japonais et ne le sera jamais!