Ne m’appelez pas «Berbère»!

DR

ChroniqueDans leurs théories assimilationnistes, relatives à l’origine prétendue sémitique orientale des peuples autochtones du Maghreb, les Arabes expliquant l’étymologie de leur nom, développèrent des récits divers…

Le 02/10/2021 à 11h03

Nous parlons d’archives berbères, de langue berbère, de tapis berbères, de tajine berbère… Mais mesurons-nous la charge historique de ce mot?

Personnellement, j’avoue être souvent emportée par le poids de l’usage qui me fait adopter, comme beaucoup d’autres, l’appellation «Berbère», évidemment sans aucune connotation péjorative, mais comprends tout à fait que cela puisse gêner aux entournures.

C’est que le mot en question est employé, dans toute sa dimension négative, depuis la période de la conquête romaine.

Barbarus! Un nom englobant les peuples situés dans le Barbaricum, terres extérieures aux limes de l’empire romain, patrie des «sauvages», Slaves, Celtes, Germains... Tous considérés comme étant hostiles à la civilisation, rejetés hors de l’humanitas.

Emprunté au grec Barbaroï, il définit à la base, une personne parlant une langue incompréhensible.

Les Arabes le reprirent ensuite pour désigner spécifiquement, sous la forme «al-Barbar», les populations autochtones résidant ce vaste territoire allant depuis l’Atlantique et les îles Canaries jusqu’à la partie occidentale de la vallée du Nil et de la Méditerranée, jusqu'au Niger.

Dans leurs théories assimilationnistes, héritées parfois de traditions latines antérieures, relatives à l’origine prétendue sémitique orientale des peuples du Maghreb, faisant hérisser à juste raison quelques poils, les Arabes expliquant l’étymologie du nom, développèrent des récits divers.

Ils racontent en moult variantes, à la suite notamment de l’historien byzantin Procope, une provenance des Berbères, mélanges, dit-on, de Cananéens et d’Amalécites, de «Bilad Cham» (correspondant à la Syrie actuelle, le Liban, la Palestine, la Jordanie et une partie de l’Anatolie orientale), chassés en cela par les Juifs à la suite de la victoire de David sur leur chef Jalout (soit Goliath).

C’est ainsi que l’historien et théologien Nashwan al-Himyari soutient au XIIe siècle, dans son ouvrage dédié aux rois du Yémen, l’histoire du prince légendaire Ifrikos ibn Saïfi envahissant le Maghreb, tout en accompagnant, après les avoir vaincues, les populations échappées à la guerre devant Josué, fils de Noun.

Ifrikos aurait proclamé dans ce sillage: les Cananéens «poussèrent des cris (Barbarat) lorsque je les ai emmenés du pays de la misère vers les terres de la félicité».

Selon une autre version, contradictoire, rapportée par d’autres auteurs, le roi sudarabique aurait trouvé les Berbères sur cette terre et se serait écrié, en rapport à leur langage indéchiffrable: «quel Berbéra est le vôtre!».

Bien d’autres fables aux allures fantaisistes appuient cette étymologie, alors que d’autres historiens et littérateurs évoquent un ancêtre éponyme nommé Berr.

A l’instar des généalogistes classiques, Ibn Khaldoun divise ainsi les Berbères en deux grandes branches: les Botr, provenant de la lignée de Berr, fils de Qays, fils de Aylan et les Branès, descendant de Bernès, fils de Berr, fils de Mazigh, fils de Canaan.

«Les Berbères, écrit-il, sont les enfants de Canaan, fils de Chem, fils de Noé, ainsi que nous l’avons déjà énoncé en traitant des grandes divisions de l’espèce humaine».

Ces créations lignagères, généralement issues de la conquête arabe, furent adoptées par des personnalités lettrées et par certaines tribus amazighes elles-mêmes. Ce qui inspire cette réponse à l’Andalou Ibn Hazm dans sa fameuse Compilation généalogique: «quelques peuplades berbères veulent faire croire qu’elles viennent du Yémen et qu’elles descendent de Himyar; d’autres se disent des descendants de Berr, fils de Qays; mais la fausseté de ces prétentions est hors de doute; le fait que Qays ait eu un fils nommé Berr est absolument inconnu à tous les généalogistes; et les Himyarites n’eurent jamais d’autres voies pour se rendre au Maghreb que les récits mensongers des historiens du Yémen».

Si l’ensemble de ces théories porte probablement le souvenir d’anciennes migrations humaines, faut-il pour autant s’acharner à réduire ces terres, riches de leurs vestiges (outils archéologiques datant de plus de deux millions d’années et restes humains d’un million d’années, pour ne parler que du Maroc) à un quelconque mouvement de peuplement venu d’ailleurs?

Dans ce cadre, certains auteurs, plus contemporains donnent à la racine «Ber» le sens d’immigrant, avec du même champ sémantique, Amsbrid signifiant passant, voyageur; Abrid, chemin; Berra, définissant ce qui se situe en dehors et Berrani, étranger.

Il n’est pas tranché d’ailleurs de manière définitive que le mot Berbère dérive réellement du grec, le terme existant anciennement sous la forme Berbéra en Somalie, Berberi en Nubie, Berber au Soudan...

La forme Beraber est quant à elle conservée par une tribu du Maroc peuplant la région bordée au nord par le Haut-Atlas et au sud par le désert.

Si le mot Berbère renvoie au peuple dans son ensemble, il existe bien d’autres dénominations pour indiquer les innombrables tribus qui le composent de l’Egypte à l’Atlantique.

Dans l’antiquité pharaonique sont ainsi mentionnés, dans des relations harmonieuses ou conflictuelles:

• les voisins Tehenu à l’ouest de la vallée du Nil, figurant dans des bas-reliefs, fidèles à la déesse Tanit qui est représentée par le palmier-dattier, dit encore d’ailleurs Tiynit notamment dans le Souss, avec des variantes à travers l’aire amazighe;

• les Temehu, présents aussi dans les archives de l’Egypte depuis le IIIe millénaire, marquants par leur carnation claire et leurs yeux bleus;

• les Libous, dits Lebahim dans la Genèse, qui ont donné leur nom à la Lybie mais aussi à toute l’Afrique septentrionale hormis la vallée du Nil telle qu’appelée par les anciens grecs;

• les Maschwesch, infiltrés en Egypte où ils créent la XXIIe dynastie pharaonique...

Pour leur part, les auteurs grecs et romains les divisent en Numides, Garamantes, Maures, Gétules... Eux-mêmes subdivisés en de multiples tribus (Nasamons, Zeugitains, Autololes...), tous regroupés sous l’appellation générique Barbarus, l’étranger, tour à tour perçu comme un péril pour l’empire ou indigne d’en faire partie.

L’appellation Amazighe apparaîtrait de son côté dans le nom des tribus Maxyes, Mazikes, Mazax... Dans les écrits des auteurs de l’Antiquité.

On en donne pour définition qui ne fait pas toujours l’unanimité d’«Homme libre», alors que certains le rapprochent du verbe zzegh «marcher d’un pas altier comme un noble», si ce n’est de zgh «dresser la tente et de là, nomade»... Sachant que certains mythes médiévaux arabes évoquent un ancêtre éponyme appelé Mazigh.

Quoi qu’il en soit des surenchères sémantiques inextricables, il semble légitime de demander à être désigné par l’appellation qu’on a choisi soi-même pour s’identifier, loin des soubassements idéologiques d’Orient ou d’Occident et loin de toute représentation subjective sur le monde des «Barbares».

Par Mouna Hachim
Le 02/10/2021 à 11h03