Le Maroc romain

DR

ChroniqueLes nouvelles découvertes d’une tour d’observation de l’armée romaine au sud de Volubilis nous offrent l’occasion de revenir sur cette présence militaire mais aussi sur le concept de romanisation, non étranger aux «Berbères»…

Le 22/10/2022 à 11h00

La Maurétanie Tingitane n’a pas fini de livrer tous ses secrets…

Une équipe conjointe d’archéologues marocains et polonais vient de découvrir une tour d’observation construite par l’armée romaine sur le site d'El Mellali au sud de Volubilis, témoignant de facto, du système de défense romain dans cette antique province de l’empire où il reste le moins connu.

L’occasion de revenir ici sur cette présence militaire mais aussi sur le concept de romanisation, non étranger aux «Berbères», qui ont suivi de manière globale, le même processus que les Ibères, les Sardes, les Gaulois, les Maltais ou les Siciliens.

Pour ne parler que de cette région du Maroc actuel, dite Maurétanie, ou Maurusia chez les auteurs grecs, c’est le domaine des Maures, «les plus reculés de tous ces peuples», précise Strabon dans sa Géographie, et dont le premier roi connu était Baga à la fin du IIIe siècle av. J.C; tandis que le sud était le territoire des Gétules (identifiés aux Goudala qui constituaient un seul et même peuple avec les Gzoula selon Ibn Khaldoun).

Sous la dynastie maurétanienne des Bocchus, Rome ne tarda pas à associer le royaume à ses luttes de factions, l’administrant en l’absence d’héritiers par le biais de préfets romains jusqu’au règne de Juba II, ami docile, élevé en captivité dorée et dont l’assassinat du fils Ptolémée, en l’an 40 sur ordre de l’empereur Caligula, marqua le début d’un contrôle plus direct qui allait durer environ trois siècles.

Il aura fallu tout de même plus de trois ans pour venir à bout du grave soulèvement, mené par l’affranchi de Ptolémée, Aedemon (surnommé, le «Spartacus marocain») puis par le général maure Salabus, avant de concrétiser manu militari cette annexion, sans parvenir toutefois à contrôler l’ensemble du territoire.

La Maurétanie est alors séparée en deux provinces: la Maurétanie Césarienne à l’Est, avec pour chef-lieu Caesarea (actuelle Cherchell en Algérie) et la Maurétanie Tingitane à l’Ouest avec pour centre administratif Tingis (Tanger), correspondant à une infime partie du Maroc actuel alors que le reste échappe au pouvoir de Rome.

En 285, durant la réorganisation de l'empire par Dioclétien, la Tingitane est rattachée administrativement à la Bétique (soit le Sud de l’Espagne).

C’est aussi l’année du retrait de la zone sud de la province, et avec, l’abandon de Volubilis, Rome ayant entamé un sérieux repli avec l’évacuation des villes méridionales à part Salé et l’îlot d’Essaouira qui restèrent sous sa domination jusqu’au IVe siècle.

De cette présence, on retient grosso modo, en plus des relations de vassalité envers une puissance suzeraine, l’application méthodique avec laquelle Rome veillait à entretenir les divisions politiques, sans réussir elle-même à étendre son autorité sur l’ensemble du territoire en raison des révoltes des tribus insoumises à son pouvoir.

Parmi les raisons de l’échec de cette «pax romana»: les lourdes redevances imposées aux populations; la confiscation des terres des tribus distribuées aux colons ou aux alliés pendant qu’une bonne partie était intégrée à l’ager publicus (territoire au profit du peuple romain).

A l’intérieur des limes et dans les villes, lieu de pouvoir et de romanité, s’est affirmé en revanche le modèle romain dans plusieurs domaines: voies de communication, génie hydraulique, architecture, aménagement du territoire avec ses plans géométriques et ses infrastructures caractéristiques...

Plusieurs villes firent place aux comptoirs puniques et aux villes indigènes imposant à nous cette notion de continuité plutôt que de coupure avec les cultures existantes: Rusaddir (Melilia), Parietina (Badis), Tamuda (Tétouan), Abyla (Sebta), Exilissa (Belyounech), Tingis (Tanger), Zilia (Assilah), Lixus (Larache), Oppidum Novum (Ksar El-Kebir), Vopiscianae (Jbel Kourt), Banasa et Thamusida (sur la rive gauche du Sebou), Rhira au nord de Sidi Slimane, Vopiscianae (Souk el Arba )…

Comme en Gaule ou en Ibérie et ailleurs à travers l’empire, Rome a réussi à installer sa pérennité par sa politique d’intégration des élites locales.

La Table de Banasa, texte juridique gravé sur une plaque de bronze, découverte en 1957, exposée au musée archéologique de Rabat, révèle ce processus d’octroi de la citoyenneté à l’élite locale.

Par ailleurs, l’armée joue parfaitement ce rôle d’intégration et de romanisation en étendant ces avantages à la famille.

Un grand général comme Lucius Quietus est un Maure de naissance. Grimpant les échelons dans l’armée comme chevalier, il avait entamé une ascension fulgurante, se distinguant dans les guerres daciques à la tête de la cavalerie maure pour devenir l’un des plus grands généraux de l’empereur Trajan, promu préteur et sénateur, l’accompagnant comme membre de l’état-major sur les champs de bataille en Orient où il enregistra de nombreuses victoires dans les guerres parthiques, ce qui lui vaudra comme récompense le titre de gouverneur de Judée.

Ce bref portrait nous donne, par la même occasion, une idée sur le rôle de l’armée d’Afrique, présente dans toutes les batailles de conquête romaine, en Europe centrale, en Arménie, en Mésopotamie mais aussi en Hispanie, en Gaule, dans le Rhin ou le Danube.

Faut-il rappeler que c’est la puissance de l’armée qui a permis de porter au pouvoir impérial le Libyen Septime Sévère, père de l’empereur Caracalla!

Sur un autre plan, la production liturgique et philosophique est l’œuvre de personnalités de renom, nées dans cette terre nord-africaine, d’une origine berbère et dont les ouvrages en latin sont largement antérieurs à ceux de leurs homologues de l’autre rive de la Méditerranée, fidèles au grec.

Malgré la vitalité du punico-latin et du punique comme «langue africaine» auprès des populations urbaines, le latin fut en effet la langue du milieu savant, celle des calendriers, des pièces d’archives, des biographies des saints, des récits des martyrs…

A ce propos, qu’on se rappelle du sort de Saint-Cassien de Tanger qui avait renoncé à sa charge de greffier du prétoire et fut décapité en 298!

Le latin fut aussi la langue de la rhétorique, du droit, de la littérature, avec plusieurs illustres représentants, surtout dans les autres provinces nord-africaines annexées plus anciennement.

Cette langue et cette culture embrassent les prénoms et les patronymes donnant une idée sur la prépondérance de l’influence latine qui vaut à ses auteurs d’être rangés dans les dictionnaires comme latins malgré leur africanité incontestée.

Sur ce plan linguistique, «le berbère n’a pas fait que recevoir et intégrer intimement l’Etranger, écrit l’universitaire algérien Salem Chaker, il a aussi beaucoup donné à la Méditerranée…»

Des similitudes frappantes ont été ainsi relevées entre le berbère, le latin et le grec particulièrement dans le domaine de la faune et de la flore, renvoyant à «des réalités botaniques ou zoologiques indigènes ou à tout le moins très anciennement établies en Afrique du Nord» précise le spécialiste en linguistique berbère, qui donne quelques exemples: faucon/falco en latin, afalku en berbère; pin/taeda en latin/tayda en berbère; fougère/filix en latin, filica/ifilku en berbère; orme/ulmus en latin, ulmu en berbère; pois-chiche/cicer en latin, ikiker en berbère...

In fine, si la présence militaire romaine est relativement connue, tout un pan de recherche nous reste à explorer quant aux profondeurs de ces influences culturelles avant l’avènement de l’islam.

Par Mouna Hachim
Le 22/10/2022 à 11h00