Du Méchouar de Tlemcen au Badi’ à Marrakech

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ChroniqueOn ne compte pas le nombre des réalisations des artisans marocains, depuis Tlemcen jusqu’aux Emirats arabes unis, depuis Grenade jusqu’à Santiago du Chili… Tout cela est bien beau mais, à voir l’état du Badi’, restauration bien ordonnée ne commence-t-elle par soi-même ?

Le 08/10/2022 à 11h06

L’affaire des zellij sur les maillots de l’équipe de foot algérienne, inspirés des motifs du palais du Méchouar de Tlemcen, remet sur le tapis la réalité de sa restauration par les artisans marocains.

Pour l’histoire, rappelons que la première fondation de cette citadelle palatine, est attribuée par certains auteurs (tel Yahya Bouâziz dans son ouvrage dédié aux mosquées de l’ouest algérien) au sultan almoravide Youssef ben Tachfine, établi dans son nouveau camp fortifié, appelé en amazigh Tagrart, lors de son siège de l’ancien Tlemcen, dit alors Agadir.

D’autres auteurs (à l’instar de l’Abbé Bargès) en font une fondation almohade, par le calife Abdelmoumen, l’année 1145, sur l’emplacement même du campement almoravide, à une date où Tlemcen prenait la forme de deux agglomérations, séparées chacune par ses remparts.

Siège des gouverneurs et des officiers de l’empire, la citadelle rectangulaire s’imposa ensuite comme résidence officielle, embellie de jardins et de fontaines, sous le règne des princes Ziyanides.

Appelés aussi Beni-Abd-el-Wad, ces derniers avaient formé, dès 1235, avec la dislocation de la dynastie almohade unificatrice du Maghreb, d’une principauté régnant sur l’ouest algérien avec Tlemcen pour capitale, non sans heurts avec les frères ennemis mérinides, de même souche zénète, dont la capitale était la ville de Fès.

L’histoire retient l’annexion de Tlemcen à la dynastie mérinide pendant 22 ans, avec une reprise d’influence au gré des vicissitudes accompagnant le déclin des Ziyanides et avec un séjour dans ce palais transformé en base des opérations.

Dans son «Histoire des Beni 'Abd el Wad», Yahya Ibn Khaldoun, frère du fameux précurseur de la sociologie, décrit ce qui est appelé alors El-Méchouar (Lieu de Conseil), en relevant la splendeur de ses édifices, la hauteur de ses pavillons, la magnificence de ses jardins…

Cette ère de gloire ne tarda pas à être ébranlée durant la conquête ottomane marquée par les premières destructions notables ajoutées au manque d’entretien.

«Vers l'an 1670, ayant pris parti pour les Marocains contre le bey Hassan», écrit Bargès, Tlemcen est détruite partiellement, le méchouar transformé en garnison et lieu de refuge pour les familles Kouloughlis (fruits de l’union entre Turcs et indigènes).

Lorsqu'à son tour le maréchal Clausel s’empara de Tlemcen en 1836, la défense du Méchouar fut confiée au capitaine Cavaignac dont la garnison était enrichie de 500 Kouloughlis, assiégés par les populations.

Les défigurations et destructions reprirent de plus belle, poursuivies en 1842, date de sa réoccupation par l’armée française à la suite du traité de la Tafna.

Résultat: installation intra-muros de la garnison, des casernes, de l’hôpital militaire, de la prison, des équipements et ateliers d’armement, accompagnés de destructions pures et simples à travers le temps.

«Est-ce que les messieurs du génie savent respecter quelque chose, quand il s'agit de réaliser leurs plans? écrit l’abbé Bargès. Souvenirs historiques, antiquités, monuments des arts, rien n'est sacré à leurs yeux; il leur faut le marteau, la démolition et le nivellement».

Que restait-il donc de l’original ? Pas grand-chose, si ce n’est un bout de muraille, la mosquée «abîmée» transformée en église pendant la colonisation et un minaret intact «quoique veuf de ses faïences» précisent les sources.

A l’ère moderne, et jusqu’en 2003, les images du Méchouar ne montraient plus que des décombres avant que le président Bouteflika ne décide de le relever de ses ruines.

A ce propos, le quotidien algérien Echorouk écrivait dans son édition en langue arabe du 17 avril 2011 que lorsque le président algérien s’était trouvé au Méchouar lors de sa restauration sur laquelle œuvraient les Marocains, il avait déclaré son appui aux Marocains et aux Espagnols dans leur préservation du patrimoine culturel. «Ils ont préservé le patrimoine et nous l'avons perdu. Nous devons coopérer avec eux pour redonner de la considération à ce patrimoine en le redéveloppant en compagnie des Marocains, sans susceptibilités».

Le journal poursuit en ce sens que la majorité des projets réalisés dans le cadre de l’événement «Tlemcen, Capitale de la Culture Islamique» voyaient une part importante de main-d'œuvre marocaine, compte tenu de sa spécialisation dans les opérations de décoration, manifestations de base de la culture islamique, qu’il s’agisse du nouveau siège de la Wilaya, du Palais du Méchouar en passant par le Palais de la Culture, tous marqués par l’empreinte marocaine.

On ne compte pas en effet le nombre des réalisations des artisans marocains à travers le monde, que ce soit dans l’art du plâtre, du bois, de la céramique etc., depuis la participation à la restauration de l’Alhambra à Grenade, en passant par les demeures algériennes comme en témoigne notamment le journal El Watan (du mois de janvier 2011), jusqu’aux Emirats arabes unis, voire à Santiago du Chili où ils ont restauré El Palacio Alhambra.

Tout cela est bien beau, mais la question qui se pose à voir l’état du Badi’ est: une restauration bien ordonnée ne commence-t-elle par soi-même ?

Un hashtag répandu sur Twitter interpelle ainsi les ministères de la Culture et du Tourisme afin d’accorder l’attention qu’il mérite au palais Badi’ à Marrakech.

C’est lui, le sublime, l’incomparable. Un chef-d’œuvre qui dit à lui seul toute la somptuosité de la renaissance saâdienne, inspirant aux poètes les plus flatteurs des distiques.

Tout le monde sait que le retentissement du triomphe d’Oued al-Makhazine avait marqué la Méditerranée et imposé le Maroc en tant que nation forte.

Ahmed al-Mansour, proclamé sur le champ de bataille à la mort de son frère, fut doté peu après de l’épithète prestigieuse de Dahbi, l’Aurique, suite au rachat des nobles portugais capturés pendant la bataille, permettant d’enrichir les caisses royales bien pourvues également avec le commerce florissant du sucre et de l’or de Guinée qui transitait par le Royaume.

Une des marques de cette splendeur est le palais Badi’, érigé au sein de la Kasbah royale, véritable cité impériale, ceinte de remparts fortifiés, ouverte par une porte monumentale et qui abritait, outre le palais des demeures princières, des bâtiments administratifs comme le Trésor, la maison de la dîme ou la douane. Sans oublier ses mosquées, ses fontaines, ses hammams, ses caravansérails, ses bazars, ses écoles, ses bibliothèques… Et ses fabuleux jardins dont les vergers de l’Agdal plantés d’arbres fruitiers, irrigués par les eaux de la vallée de l’Ourika à travers un ingénieux réseau de galeries souterraines.

Avec ses 360 salles, ses 500 colonnes de marbre de Carrare, ses dizaines de fontaines, le Badi’ avait vu pour sa part s’activer pendant plus de quinze années, des milliers d’artistes marocains et d’autres venus de multiples contrées. Il avait employé des matériaux comme l’or et l’ivoire du Soudan, le marbre d’Italie payé son poids en sucre de canne, l’onyx en provenance de France, le granit d’Irlande, le porphyre de l’Inde, le jade de Chine, mariant tous harmonieusement leurs éclats.

Durant le règne du sultan Moulay Ismaïl, le Badi’ ne tarda pas à être démantelé pour les besoins de sa résidence impériale, Meknès, bâtie à sa mesure.

Probablement aussi pour effacer le souvenir grandiose de ses prédécesseurs, ne laissant plus voir aujourd’hui de ce joyau que de majestueuses ruines.

On raconte, mais Dieu seul sait si ces propos sont vrais, que lorsque le sultan Ahmed al-Mansour avait demandé à ses courtisans ce qu’ils pensaient de son fastueux palais, lors d’une féerique cérémonie inaugurale où des mets délectables étaient servis dans de la vaisselle d’or émaillé, un de ses bouffons aurait répondu en présence des dignitaires du royaume et d’ambassadeurs étrangers:

– Quand il sera démoli, il fera un gros tas de pierres.

Par Mouna Hachim
Le 08/10/2022 à 11h06