Pendant qu’en Europe du Nord, obtenant de nouvelles adhésions ou demandes d’adhésion, l’OTAN avance ses pions face à la Russie, Moscou avance les siens en Afrique en signant des accords militaires avec de nombreux pays du continent. Preuve du poids de plus en plus fort de l’influence russe en Afrique, au mois d’octobre 2019, la quasi-totalité des chefs d’Etats africains s’était ainsi rendue en Russie, au sommet Russie-Afrique de Sotchi.
Depuis les années 2000, la Russie fait un grand retour en Afrique. Pour des raisons géopolitiques, et en réactivant ses anciens réseaux hérités de l’ex-URSS. Mais également en profitant de l’accumulation des erreurs faites par les Occidentaux. Ainsi au Mali, où le «groupe Wagner» qui n’a pas vocation à remplacer l’armée française, ni à faire gagner la guerre au gouvernement malien, est en réalité d’abord une sorte de garde rapprochée des autorités actuelles.
Depuis plusieurs années, la Russie développe donc une politique active en Afrique, mais, à la différence de la Chine, elle n’est pas à la recherche de ses matières premières car elle en regorge. La Russie a en fait joué une toute autre carte. Plutôt que de dépenser de l’argent dans l’improbable développement, elle a choisi de prendre le contrôle des armées car, en Afrique, qui tient l’armée, tient le pays. De plus, en contrôlant l’Etat, elle s’assure une clientèle et un réservoir de voix à l’ONU.
Si nous faisons un retour en arrière, nous constatons qu’en réalité, le président russe Vladimir Poutine a repris très exactement la stratégie soviétique de l’époque de la dernière phase de la Guerre froide. Tant que Staline fut au pouvoir, l’URSS qui s’intéressait surtout à l’Europe, n’avait pas de véritable politique africaine. Ensuite, quand elle prit conscience du fait que l’Occident était en train de l’encercler à travers son réseau mondial d’alliances, une nouvelle doctrine fut élaborée que l’on peut résumer par «encerclons les encercleurs».
Pour cela, fut développée une puissante politique d’aide aux pays d’Afrique, avec une entrée directe en guerre, tant en Ethiopie qu’en Angola. L’URSS fut alors capable d’intervenir militairement partout en Afrique, comme en témoignent les ponts aériens qu’elle organisa en 1975 vers l’Angola, puis en 1977-78 vers le front d’Ethiopie. Plusieurs dizaines de milliers de «conseillers» soviétiques se répartissaient alors dans les pays africains qui avaient des accords avec Moscou.
Autre volet de cette politique, 25.000 étudiants africains fréquentaient les universités et les instituts soviétiques, dont la célèbre université Patrice Lumumba. Or, aujourd’hui, une partie de ces anciens étudiants est aux affaires, à l’image de Michel Djotodia qui prit le pouvoir en Centrafrique en 2013 et qui est russophone. Mais il en est de même au Sahel ou dans la région soudanaise.
A partir du moment où il s’est rendu compte que l’Europe atlantiste ne voulait pas d’un partenariat privilégié avec la Russie, Vladimir Poutine a donc exactement repris la politique soviétique des années 1970-1980. En 2006, il effectua un voyage officiel en Afrique du Sud et au Maroc, puis, en 2009 Dimitri Medvedev fit de même en Angola, en Namibie et au Nigeria et à l’occasion de son voyage, il annula 29 milliards de dollars de la dette africaine.
Ces voyages furent l’occasion de renforcer les anciennes amitiés, Moscou réactivant ainsi ses contacts du temps de l’ex-URSS. Aujourd’hui, la Russie a établi ou rétabli des relations diplomatiques avec tous les pays d’Afrique et Moscou abrite 35 ambassades africaines.
Or, la démarche de la Russie fut vue avec sympathie sur un continent africain lassé des injonctions politiques («bonne gouvernance») et des exigences sociétales (LGBT, féminisme politique, homosexualité etc.) des Occidentaux. D’ailleurs, et comme ne se privent pas de le répéter les responsables russes, n’ayant pas de passé colonial, leur pays ne s’est jamais cru autorisé à leur imposer des impératifs sociétaux, politiques ou économiques. Tout au contraire, hier, l’URSS a aidé les luttes de libération et aujourd’hui, elle engage les pays africains à se libérer des «survivances coloniales».
Politiquement, Vladimir Poutine a donc très exactement pris le contre-pied du diktat démocratique que François Mitterrand imposa à l’Afrique en 1990 lors de la conférence de la Baule. Un diktat qui a provoqué un chaos sans fin sur le continent, y installant durablement le désordre démocratique. Tout au contraire, Vladimir Poutine considère que l’un des blocages de l’Afrique tient à son instabilité politique. Une instabilité qui est largement le résultat de la démocratisation, car cette dernière débouche sur l’ethno-mathématique électorale.