Cela tient peut-être à l’atmosphère décontractée,voire chaleureuse, que les journalistes étrangers hantant le Golfe arabo-persique trouvent de longue date à Manama, en comparaison des rigueurs hanbalites de Djeddah ou Doha, mais j’ai toujours senti de l’attirance pour cet archipel baigné par la même mer, en contradiction donc avec son nom : Bahreïn = Deux-Mers … Cet Emirat perlier puis pétrolier, régi patriarcalement depuis les années 1780 par la dynastie arabe des Khalifa, et que son chef actuel, Hamad II, a cru opportun en 2002 de hisser au rang de « Royaume », malgré ses 700 km2 peuplés seulement de 1.250.000 âmes dont plus de 50% sont allogènes ; cet Etat sunnite malékite comme le Maroc, lequel est un peu son modèle et aussi un de ses protecteurs diplomatiques, face aux appétits présumés du géant iranien à 200 km de ses côtes.
Oh ! Je sais, Bahreïn abrite une grosse base américaine ( comme Cuba…) , qui fait grimacer bien des Arabes, et les sacro-saintes" valeurs démocratiques " ne sont pas strictement honorées par le gouvernement insulaire, comme le réclame une partie de ses administrés chiites, dont certains se voient déjà diriger ces îles qui furent colonie chiito-persane aux XVII et XVIIIe siècles … Bref, le régime bahreïni n’a pas très bonne presse dans les tout-puissants réseaux « droitsdelhommistes » des cinq continents ; du coup il cherche tout naturellement à améliorer son « image », et je ne sais quel « communicant » a donc soufflé à Manama d’accueillir avec maints égards une brillante escouade judéo-cristiano-islamique composée en France; une sorte de Tout-Paris religieux ambulant qui s’est donné pour mission ( plus qu’honorable, il est vrai …) de sauver les chrétiens d’Orient . Or, la monarchie khalifienne est exemplaire en la matière, s’apprêtant même à abriter la première cathédrale de la rive arabe du Golfe … Evidemment, pour la délégation pluriconfessionnelle, il aurait été plus compliqué, plus dangereux d’aller essayer de rallier à son projet ces jihadistes de Mésopotamie, Algérie, Libye, Niger, Nigéria, etc. qui s’attaquent violemment aux chrétiens en tant que tels …
Epargnons à nos suiveurs les platitudes ultra-consensuelles sur la « tolérance » et contre la « haine » débitées par des membres de la délégation parisienne et attardons-nous plutôt sur ses figures, à mes yeux les plus « pittoresques » : l’abbé Alain de La Morandais, prêtre mondain octogénaire connu en Europe pour ses propos crus sur la chasteté ou la prostitution ; côté chrétien encore mais américano-proche-oriental, Patrick Karam, né aux Antilles, dignitaire ( avec madame) de l’hypersarkozysme, bon garçon, paraît-il, fameux pour ses hâbleries levantines qui font rire les dîneurs chics de Cayenne à Beyrouth, via Neuilly-sur-Seine et la Côte-d’Azur ; l’Islam était représenté notamment par le plus controversé des imams de France, Hassan Chalghoumi, né tunisien de père algérien ; spécialiste des séjours « mystérieux » en Syrie, Turquie, Algérie, Pakistan, Inde mahométane, etc ; naturalisé français ( pas très difficile …) ; gérant d’une pizzeria ( « Il n ‘y a pas de sot métier ») ; victime en 2010 d’une « agression inventée » en banlieue parisienne, « agression » attribuée d’abord à des partisans du Marocain Cheikh Yacine ( disparu en 2012) ; anti-burqa ; proclamant la « singularité sans égale » du génocide des juifs d’Europe par les nazis ; louant l’Islam pakistanais, bref paraissant surtout adapter son discours à ses auditoires, etc.
Enfin, le bouquet, avec le célébrissime Marek Halter : rescapé ( mais c’est contesté par des chercheurs juifs(1)) du ghetto de Varsovie ; condamné en appel le 15 décembre 1993, avec « Le Figaro », pour « diffamation publique » envers le catholicisme(2) ; reconverti dans les biographies romancées à l’eau tiède d’héroines chrétiennes ( La Vierge Marie), israélites ( Bethsabée) et dernièrement musulmanes ( Khadija, Fatima, Aïcha). Dans un geste mécénique, qui n’est pas inhabituel chez lui, le brave Hamad II a décidé le 11 mars 2015 que la trilogie haltérienne sur les « premières grandes dames de l’Islam » serait très bientôt traduite en arabe. C’est pour le moment le seul résultat tangible de ce voyage huppé à la Cour khalifienne…
(1) Par exemple le résistant et historien judéo-polonais Michel Bronwicz, auteur en 1983-84 d’un texte coup-de-poing « le cas Marek Halter. Jusqu’où est-il tolérable d’aller trop loin ? »
(2) « Les mensonges de Marek Halter », « Le Nouvel Observateur », Paris, 6 décembre 2008.