Un bout d’histoire menacé de ruine: l’adieu à l’emblématique immeuble «La municipalité» du quartier El Hank à Casablanca

Lors de la démolition de l'immeuble «La Municipalité» du quartier El Hank à Casablanca. (K.Sebbar/Le360)

Le 15/02/2025 à 08h34

VidéoDatant des années 1960, l’immeuble «La Municipalité» dans le quartier El Hank de Casablanca a dû être évacué et ses habitants relogés. Véritable page de l’histoire urbanistique de la capitale économique, il était menacé de ruine. «Le360» a assisté à sa démolition et recueilli sur place les témoignages de ses anciens locataires, nostalgiques mais optimistes. Reportage.

Jusqu’ici, il trônait fièrement sur un terrain en jachère du quartier Bourgogne, au cœur de Casablanca. Vétuste mais propre, il défiait le temps qui passe, les nombreux projets urbanistiques en cours sur la corniche et la gentrification tous azimuts de l’hypercentre casaoui.

À lui seul, l’immeuble «La Municipalité» et ses cinquante appartements, un bloc a priori sans âme à El Hank, d’un blanc immaculé, traversé par une fresque street art géante, personnifiait une certaine idée de Casablanca: pauvre mais sexy, foncièrement rebelle. Imaginez être issu de la classe populaire, vivre à plusieurs dans un appartement contigu loué entre 60 et 120 dirhams le mois (vous avez bien lu!), dans un immeuble sans ascenseur. Mais un immeuble datant des années 1960 - toute une histoire- et, surtout, face à l’océan Atlantique, offrant à ses locataires l’une des plus belles vues de la capitale économique, avec le mythique phare pour éclaireur. La majesté de la mosquée Hassan II au loin faisait le reste. Et il suffisait de quelque pas à pied pour se retrouver au «Ground 0» de la ville. Un cocktail détonnant. Beau. Mais qui menace ruine.

Face au danger représenté par cet immeuble, même entretenu, les autorités de la ville ont décidé son évacuation et sa démolition. La mesure a été exécutée avec diligence. Alertés il y a longtemps, les habitants ont été informés de la décision il y a un mois. Un plan de relogement en bonne est due forme leur a été proposé. Heureux de devenir enfin propriétaires dans d’autres quartiers de la ville, ils ne peuvent néanmoins s’empêcher de regretter l’un des immeubles les plus emblématiques de «leur» Casablanca. Une page d’histoire se referme. Une nouvelle vie commence.

Cette semaine, bulldozers et pelleteuses s’acharnaient à casser murs et enceintes pendant que les derniers résidants finissaient de déménager. Face à l’écroulement, littéralement, d’une bonne partie de leur vie, ils se consolaient affectueusement d’un geste de la main. Partir est difficile même si l’après est d’ores et déjà en marche. «Nous avons été informés de la mesure d’évacuation il y a 30 jours à peu près. Les autorités nous ont expliqué les solutions qui nous étaient proposées et les démarches à suivre», explique Noureddine, ancien locataire, à Le360.

En contrepartie, les autorités leur proposent des appartements flambant neufs à Bouskoura et Errahma, d’une valeur de 300.000 dirhams. L’État prend à sa charge 200.000 dirhams, les bénéficiaires les 100.000 restants, en plus des frais d’enregistrement et de notaire, soit 11.000 dirhams. «Certaines familles ont encore des enfants scolarisés et doivent s’adapter en plein milieu d’année. D’autres résidants travaillent dans le centre et auront du mal à se faire aux longs trajets qui les attendent une fois installés dans leurs nouvelles demeures, excentrées, en dépit des nombreux moyens de transport. J’ai vécu ici toute ma vie. Mes parents ont élu domicile dans cet immeuble et avec mes frères et sœurs, nous y sommes restés après leur décès. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous partons, mais les dés sont jetés», témoigne-t-il. Tous les anciens résidents sont d’ailleurs les enfants des premiers locataires, de petits fonctionnaires de la commune et de la wilaya auxquels l’État avait accordé des logements à loyer modéré à l’époque.

La grande transformation, souligne cependant notre interlocuteur, c’est l’accès à la propriété pour ces familles. «Même loués à des sommes modiques, les appartements d’El Hank ne nous appartenaient pas. Nous savions que nous allions devoir les quitter un jour ou l’autre. Là, nous devenons propriétaires de plein droit», se réjouit-il. Autre résidant, Mustapha est du même avis. «Il faut avancer», nous dit-il. «Prendre le pli, préparer ses documents, s’installer dans les nouveaux appartements qui, cette fois, sont à nous. C’est tout ce qu’il y a à faire. La mer va me manquer cela étant», relate celui qui a résidé à «La Municipalité» pendant 35 ans.

La seule constante qui vaille, c’est le changement. C’est l’avis de Noureddine, celui qui a vu le jour dans «La Municipalité» il y a 54 ans. «Mon souhait est que ce déménagement soit porteur d’espoir et d’une vie meilleure», espère-t-il. Inchallah.

Par Ghania Djebbar et Khadija Sebbar
Le 15/02/2025 à 08h34