Une nouvelle polémique enfle depuis quelque temps sur les réseaux sociaux marocains. Rien de nouveau sous le soleil, me direz-vous. Qu’est-ce qu’on a donc cette fois au menu? Eh bien, le sujet du jour n’est autre que le réseau social chinois TikTok, que certains parlementaires, dont la PAMiste Hanane Atarguine, accusent de tous les maux de la Terre, dont l’atteinte à la dignité humaine, l’encouragement de pratiques et comportements criminels, la mendicité, le commerce illégal, l’exploitation des enfants et des corps... La liste est longue. Il ne manque plus que «génocide» et «crime contre l’humanité», et ce n’est plus au Parlement que TikTok devra être jugé, mais à la Cour pénale internationale.
Par conséquent, ces élus demandent ni plus ni moins que l’interdiction de cette application au Maroc. Comme si c’était possible…
Des VPN gratuits existent pour contourner toutes les interdictions du monde. Nos jeunes le savent mieux que vous et moi, vous pouvez en être sûrs, et vous n’y verrez que du vent. Mais les réflexes sécuritaires ont la peau dure… De toute façon, chez nous, tout ce qui n’est pas permis est interdit! Les drones, les cryptomonnaies, les trottinettes, la street photo, PayPal… et bientôt peut-être TikTok. Il n’y a pas de textes de loi pour encadrer quelque chose? Pourquoi se casser la tête à légiférer? Disons que c’est interdit, confisquons et sévissons. Veni, vidi, confisci!
Et là, je ne parle même pas des dissonances cognitives qui nous sont imposées tous les jours. Cela va de la vente d’alcool, qui est interdite tout en vendant des dizaines de millions de litres chaque année, jusqu’aux séries où le romantisme est promu, au moment même où vous pouvez vous faire arrêter par la police pour un baiser, ou pour avoir tenu la main de votre compagne ou compagnon, avec la célèbre question: «Ach ka djik?» («Quel est le lien de parenté entre vous?»). Les exemples ne manquent pas.
Mais au fond, n’est-ce pas la pauvreté et l’ignorance qui génèrent ce type de comportements? De même que la faille de notre système éducatif? Le chômage des jeunes, l’absence de perspectives d’avenir, d’espoir et de qualifications? Ces phénomènes ne sont-ils pas aussi à l’origine du fléau de la mendicité dans nos rues? De la prostitution? Et de la délinquance? Quelle différence cela fait-il que ces fléaux soient sur le Net ou dans nos rues?
La différence est de taille pour certains de nos élus, car les conséquences de la misère peuvent être cachées sur le Net, c’est du moins ce qu’ils pensent, tandis que celles qui peuplent nos rues, on n’y peut rien. Cachez-moi cette pauvreté et cette ignorance que je ne saurais voir! Voilà ce que devraient dire nos chers élus.
Cependant, il est toujours plus commode de désigner un bouc émissaire de tous ces maux, plutôt que de prendre les vrais problèmes à bras-le-corps.
Ils prétendent vouloir interdire cette application pour protéger la santé mentale de nos enfants et les valeurs de notre culture. Dans ce cas, interdisez Netflix, Amazon Prime, certaines des émissions de nos chaînes nationales (et je suis gentil en disant certaines), Mawazine, mais aussi, pourquoi pas, les films occidentaux. Et, poussons la logique jusqu’au bout, l’internet aussi tant qu’on y est. Comme ça, nos valeurs resteront bien au chaud et à l’abri de toute influence extérieure.
Ce dont nos chers élus cherchent en réalité à nous protéger, c’est bien de l’exhibition de notre misère et de notre vacuité culturelle et médiatique. Quant à la combattre réellement, on attendra encore longtemps pour les voir bouger sur ce terrain.