Tribune. Maltraitance d'enfants: l'apport indéniable des examens radiologiques

Campagne de sensibilisation en France sur la maltraitance, de la Fondation pour l'Enfance, en 1989. 

Campagne de sensibilisation en France sur la maltraitance, de la Fondation pour l'Enfance, en 1989.  . FondationPourlEnfance

La maltraitance physique des enfants est responsable de plus de 75.000 décès par an en France. Au Maroc, 9 enfants sur 10 sont victimes de violences, selon un rapport de l’Unicef paru en 2017.

Le 24/04/2022 à 08h58

Le registre des urgences de l’hôpital universitaire des enfants de Rabat montre une affluence régulière d’enfants battus. Les examens radiologiques sont d’un apport capital pour le diagnostic et l’évaluation de la gravité des lésions, selon le Dr Bounhir Boumehdi, médecin radiologue.

Il n’y a pas de spécialités médicale ou chirurgicale spécifiques aux coups, aux traumatismes et aux blessures dont sont victimes les enfants, quel que soit leur âge.

De ce fait, le diagnostic de maltraitance physique des enfants n'est pas toujours facile à mettre en place. Certes, le plus souvent la peau et les os sont les plus touchés. D’où l’importance de l’imagerie médicale, affirme le Dr Bounhir Boumehdi.

La maltraitance physique des enfants ou le syndrome des enfants battus est responsable de plus de 75.000 décès par an en France. Au Maroc, 9 enfants sur 10 seraient violentés, selon l’Unicef, et 40 millions d’enfants sont touchés par ce fléau dans le monde.

Une simple consultation du registre des urgences de l’hôpital universitaire des enfants de Rabat, montre une affluence régulière d’enfants battus.

Malgré cela, ce problème de santé publique reste sous-diagnostiqué au Maroc et dans le monde.

Rappelons que le syndrome de maltraitance de l'enfant regroupe la maltraitance physique, psychologique, sexuelle et sociale, infligés à l'enfant par une tierce personne, le plus souvent un adulte.

C'est un grave problème de société et de santé publique. Il touche les enfants de tous les âges et de tous les milieux. Tout un chacun, et surtout les jeunes médecins, doivent être sensibilisés à ce problème pour mieux le diagnostiquer devant une symptomatologie souvent diverse, peu spécifique et souvent masquée par les agresseurs.

Le diagnostic de maltraitance physique n'est pas toujours facile. En effet la limite entre maltraitance et une punition parentale sévère est mal définie.

Aucune lésion n'est pathognomonique, la peau et les os sont souvent les plus touchés. La règle en médecine pédiatrique est de se fier à la parole des parents. Mais ces derniers mentent souvent sur les circonstances de survenue des lésions.

Les enfants maltraités parlent peu et peuvent parfois mentir par crainte de leur(s) abuseur(s), ce qui complique davantage la situation, les témoins étant rares, car ces maltraitances surviennent souvent dans un contexte familial confiné et cloîtré entre quatre murs.

Les médecins, quelque soit leur spécialité, insistent sur le fait qu’après un examen médical clinique complet de l’enfant battu, il est indispensable d’avoir recours à des examens complémentaires. Ces derniers ont pour objectif de rechercher des étiologies aux lésions constatées et de faire un bilan lésionnel précis.

Si les signes cutanés de la maltraitance physique chez l'enfant siègent volontiers au niveau des joues, du cou, du thorax, de l’abdomen, des fesses, de la région lombaire, des organes génitaux et de la face interne des cuisses, il n’en demeure pas moins qu’il faut chercher de façon minutieuse des lésions osseuses. 

Les fractures occupent la 2ème position dans le tableau clinique de la maltraitance de l'enfant. Le nombre de fractures doit attirer l’attention. Habituellement, on retrouve plusieurs fractures à des âges radiologiques différents.

Lorsqu’un enfant est âgé de moins de deux ans, et en cas de forte suspicion de maltraitance physiques, l'American college of radiology recommande d’effectuer systématiquement des radiographies du crâne, du thorax, du bassin, et du rachis, insiste le Dr Boumehdi.

Des radiographies de l'humérus, des deux os de l'avant-bras, du fémur, et du tibia seront aussi réalisés et chercheront des fractures anciennes ou passées inaperçues à l'examen.

Si le bilan radiologique fait en urgence revient normal, on refait un autre bilan radiologique après 15 jours à la recherche de la réaction périostée de l’os.

De même que des radiographies de l'humérus, des deux os de l'avant-bras, du fémur, et du tibia seront aussi réalisés et chercheront des fractures anciennes ou passées inaperçues au premier examen clinique, souvent fait à la hâte dans un service des urgences.

Un fait capital doit attirer d’emblée l’attention: le nombre de fractures. Habituellement, on retrouve plusieurs fractures à des âges radiologiques différents.

Dans des cas extrêmes, une scintigraphie osseuse est réalisée, elle est assez sensible en cas de fracture des côtes par l’apparition d’une réaction précoce du périoste.

La tomodensitométrie de l'os est difficile d'interprétation chez le nourrisson et le jeune enfant car l'os est très riche en eau à cet âge.

En effet cet examen permet de mesurer la densité minérale, mais ne permet pas l’évaluation de la résistance de l'os.

Par contre, la tomodensitométrie cérébrale est très utile en cas de traumatisme crânien ou lorsqu’ un syndrome du «bébé secoué» est suspecté. Ce dernier est appelé également «traumatisme crânien non accidentel» (TCNA). Il se traduit lorsqu’un bébé ou un jeune enfant est violemment secoué par un adulte.

Ces secousses, toujours extrêmement violentes, sont produites le plus souvent lors de la saisie du bébé sous ses aisselles ou par son thorax.

L'imagerie par résonance magnétique (IRM) est d'utilisation fréquente surtout en cas de traumatismes crâniens et quand le scanner n'apporte pas d'explications claires et précises devant une altération de l’état de conscience ou en cas de crises convulsives chez les nourrissons, sans raison pathologique particulière, tient à préciser le Dr Bounhir Boumehdi.

Tous les travaux scientifiques internationaux rapportent le fait qu’avant l’âge de 5 ans, les fractures sont localisées au niveau du crâne, d’une clavicule, des côtes, de l’humérus, du sternum et du fémur.

Après l’âge de cinq ans, elles se localisent volontiers au niveau du tibia et à l'avant-bras.

Chez le nourrisson, on peut retrouver des fractures métaphysaires, souvent localisées au niveau du fémur distal, du tibia et de l’humérus proximal.

Les fractures des côtes du nourrisson sont toujours suspectes. La fracture de la première côte témoigne de la violence du traumatisme, à cet âge. Elle est très suggestive d'une maltraitance.

Par ailleurs, une revue d’articles scientifiques reconnus et indexés avait montré que 3 à 8% des lésions du rachis chez les enfants étaient dus à une maltraitance physique.

La maltraitance des enfants est un problème très fréquent dans notre société. Généralement, cette maltraitance n'est pas préméditée. Elle est souvent le résultat d'une colère ou d'une situation conflictuelle ponctuelle.

Une parfaite coordination doit être installée entre le médecin traumatologue orthopédiste, le radiologue, le psychologue, le médecin de famille, l’assistance sociale et les autorités, afin d’assurer aussi bien le volet médical, le volet psycho-social et juridique: tel le principal message que veut communiquer le Dr Boumehdi. Objectif ultime: prévenir une récidive, particulièrement de parents connus et reconnus pour être violents envers leurs proches.

Rappelons enfin que l’Observatoire national des droits de l’enfant a mis à la disposition de la population marocaine, depuis mai 2020, un portail (www.2511.ma), pour toute personne désireuse de déclarer ou de signaler des actes de violence à l’égard d’enfants. 

*Le Dr Anwar Cherkaoui est médecin. Lauréat du cycle supérieur de l'Iscae, il a été, trente années durant, le responsable de la communication médicale du CHU Ibn Sina de Rabat.

Par Anwar Cherkaoui
Le 24/04/2022 à 08h58