Le Haut Atlas marocain vient de révéler un lointain chapitre de son histoire. C’est ici, à Outerbat et à Aït Ali Ou Ikkou, que des chercheurs ont découvert de précieuses traces de pas de dinosaures, datés de 145 à 168 millions d’années.
L’étude rédigée par ces chercheurs, et publiée sur l’édition du mois de septembre de la revue Royal Society Open Science, identifie les empreintes dans trois sites distincts, qui témoignent d’une richesse et d’une diversité insoupçonnées de la faune de dinosaures en Afrique du Nord, alors que les fossiles corporels de cette époque demeurent rares.
Les traces ainsi dévoilées comprennent des empreintes de sauropodes, des dinosaures herbivores à long cou et à quatre pattes, de théropodes, des dinosaures carnivores bipèdes, et d’ornithopodes, des dinosaures herbivores bipèdes ou parfois quadrupèdes, avec des becs adaptés. Et une trace particulière pourrait bien correspondre à un théropode non aviaire ayant des allures d’oiseau.
Pour en savoir plus sur cette découverte, Le360 a rencontré l’un des auteurs de cette étude, Ahmed Oussou, doctorant en géologie à l’université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès.
Le360: Présentez-nous tout d’abord la méthodologie que vous avez adoptée dans vos recherches?
Ahmed Oussou: Nous avons adopté une méthodologie centrée sur la photogrammétrie (technique qui consiste à déterminer la forme et les dimensions d’un objet à partir de plusieurs prises de vues photographiques, NDLR), en suivant les protocoles ichnologiques standard. Sur le terrain, nous avons photographié les sites d’empreintes à l’aide d’un Nikon D750. Ces images ont ensuite été traitées avec le logiciel de photogrammétrie et de modélisation 3D «Reality Capture v. 1.2» pour élaborer des maillages texturés.
Nous avons ensuite produit des modèles numériques des surfaces entières où se trouvaient les empreintes, puis de chaque empreinte prise individuellement. Pour une analyse plus détaillée, nous avons généré des cartes de hauteur en utilisant le logiciel de modélisation, d’animation et de rendu en 3D «Blender».
Dans le cadre de l’étude détaillée des empreintes, nous avons procédé à des mesures sur le terrain, en particulier pour les empreintes laissées par les sauropodes, les ornithopodes et les théropodes. Nous avons ainsi mesuré la longueur et la largeur de chaque empreinte, la distance entre les empreintes consécutives, ainsi que les angles formés par les doigts sur les empreintes tridactyles.
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Ces mesures nous ont permis d’interpréter et d’identifier l’espèce de l’animal à l’origine de l’empreinte, et de comparer ces nouvelles découvertes à celles précédemment répertoriées. En complément, nous avons mené une étude paléo-environnementale pour comprendre le contexte.
Quelles ont été les principales difficultés rencontrées dans le cadre de vos recherches?
Parmi les défis auxquels nous avons été confrontés figure la question des bancs sédimentaires piétinés par des empreintes. Car pour mener à bien la photogrammétrie, il était nécessaire de capturer une centaine de clichés sous divers angles. Le jeu de lumière était un autre obstacle, étant donné la nécessité d’une bonne luminosité pour ces bancs. Nous étions contraints de patienter jusqu’à ce qu’ils soient parfaitement baignés de lumière pour obtenir des résultats optimaux.
Quelles sont les révélations majeures de vos recherches?
Les empreintes trouvées englobent celles laissées par les sauropodes, les théropodes et les ornithopodes. Et la cooccurrence des traces répertoriées dans un même endroit, tel que notre premier site, indique que ces dinosaures partageaient le même environnement à une époque donnée.
Parmi les empreintes découvertes, y en a-t-il qui étaient particulièrement surprenantes par rapport à ce que vous saviez des dinosaures de cette époque?
Parmi les empreintes les plus surprenantes, on compte celles retrouvées sur le deuxième site, où l’on a repéré plusieurs pistes de traces de théropodes juvéniles marchant dans la même direction, ainsi que la cooccurrence d’une empreinte isolée, potentiellement attribuable à un ptérosaure. D’autre part, le troisième site a révélé des empreintes d’un théropode ayant des caractéristiques semblables à celles d’un oiseau, étonnamment bien préservées.
Comment les empreintes découvertes se comparent-elles en termes de distribution, de taille et de fréquence sur les sites?
Certaines zones, comme le premier site, affichent une concentration plus élevée d’empreintes, ce qui signifie qu’elles sont plus riches en empreintes. Concernant leur taille, le premier site présente des empreintes de grande taille provenant de théropodes, de sauropodes et d’ornithopodes, tandis que le deuxième site est principalement caractérisé par de petites empreintes de théropodes.
Ces empreintes ont-elles des spécificités distinctes par rapport à d’autres découvertes au Maroc?
Oui, notamment des traces de jeunes théropodes de petite taille et des empreintes profondes d’un théropode aviaire.
Ces découvertes corroborent-elles ou contredisent-elles les hypothèses antérieures concernant la faune dinosaure du Jurassique moyen à supérieur au Maroc?
Notre étude n’a fait que gratter la surface de la faune dinosaure du Jurassique moyen à supérieur au Maroc. À ce jour, seulement quatre espèces ont été identifiées. Il reste encore beaucoup de travail à accomplir pour révéler l’image complète de la faune de dinosaures de cette époque.
Comment avez-vous pu estimer avec précision l’âge de ces empreintes?
Concrètement, leur âge a été déterminé en utilisant les fossiles de brachiopodes collectés dans les couches sédimentaires marines les plus récentes de la formation géologique sous-jacente.
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Dans le détail, la base de la formation continentale d’Isli, où les empreintes de pas de dinosaures sont préservées, a été datée du Bathonien inférieur (168 millions d’années). De plus, nous envisageons que cette formation pourrait s’étendre jusqu’au Jurassique supérieur (jusqu’à 145 millions d’années), car d’autres empreintes découvertes dans la région montrent des ressemblances avec celles du Jurassique supérieur trouvées dans différentes parties du monde.
Comment cette découverte s’inscrit-elle dans le contexte plus large des découvertes paléontologiques récentes au Maroc et en Afrique du Nord?
Le Maroc occupe une place prééminente en Afrique en ce qui concerne les archives paléontologiques, en raison de sa multitude de formations géologiques exposées, qui couvrent une gamme d’âges allant de l’Archéen à l’époque actuelle. Par conséquent, notre découverte contribue à enrichir notre compréhension de l’histoire évolutive des dinosaures et de leur répartition géographique. Cela revêt une grande importance pour la science et notre connaissance de notre passé géologique et biologique.
Prévoyez-vous d’autres explorations ou fouilles dans la région étudiée ou dans d’autres régions du Maroc?
Nous comptons certainement poursuivre les explorations dans cette région. De plus, nous avons récemment commencé des fouilles dans le Moyen Atlas, en collaboration avec des chercheurs du Musée d’histoire naturelle de Londres, dans l’espoir de découvrir d’autres empreintes ou fossiles de dinosaures.