Je ne sais pas si les Espagnols se rendent compte combien les Marocains aiment leur pays. Ce n’est pas une mode. Quand j’étais enfant à Tanger, tous les étés, mon oncle et toute sa famille partaient en cure à Lanjaron. Ils revenaient avec plein de cadeaux, des pots de confiture que je découvrais avec délice.
L’Espagne était à Tanger. C’était une colonisation, certes, mais pauvre. Le coiffeur de mon père, l’infirmier de ma mère, le réparateur de transistors étaient des Espagnols. Ils habitaient dans des quartiers mélangés aux Marocains. Les Français avaient leurs beaux appartements, leurs villas dans la ville haute et ne se mêlaient pas du tout aux «indigènes»!
Le nord du pays était entre les mains des Espagnols. Les routes étaient étroites et pleines de trous. L’hôpital espagnol de Tanger manquait de médicaments. Restait l’école espagnole au quartier résidentiel du Marché aux bœufs, collé au consulat, qui dispose jusqu’à aujourd’hui d’un parc immense et magnifique.
La monnaie courante était la peseta. Le journal franquiste España avait ses bureaux en face de la wilaya actuelle.
Les garçons de café étaient souvent des Espagnols. On n’imagine pas un Français servir une table de Marocains!
Il y avait le Casino espagnol, puis le restaurant-bar Casa España. Bref, les Espagnols étaient nos voisins, nos copains, aussi pauvres et modestes que nous. Aujourd’hui les choses ont bien changé.
Entre le Maroc et l’Espagne, les relations commerciales sont primordiales. Les échanges économiques ont atteint un niveau que la France n’apprécie pas beaucoup. L’immigration marocaine y est importante. Elle s’est beaucoup développée ces vingt dernières années.
Sur le plan politique, l’actuel patron des socialistes Pedro Sanchez a opéré un rapprochement avec le Maroc essentiel pour la marocanité du Sahara, ce que la France de Macron hésite à faire à cause de la pression et la culpabilisation faites par le régime algérien.
Discutant en privé avec l’ambassadeur d’Espagne à Rabat, M. Ricardo Diez-Hochleitner (cela fait huit ans qu’il est en poste et il a une passion pour notre pays, sa culture, son climat, sa modération, son énergie, etc.), il m’a assuré, d’après son analyse personnelle, que jamais l’Espagne ne reviendrait sur l’avancée faite par Pedro Sánchez.
Pour lui c’est une affaire pliée. Le Maroc a besoin de son Sahara, il a besoin de son intégrité territoriale. On sait qu’en Espagne, le Polisario a ses sympathisants, mais ils ne réussiront pas à faire changer la position espagnole.
Il y a aussi la proximité géographique, la communion culturelle historique riche et vive jusqu’en 1492, au moment où s’intensifie l’Inquisition contre les musulmans et le juifs. Il subsiste en Andalousie des traces magnifiques de cette présence islamo-arabe, à laquelle il faut ajouter la culture hébraïque.
Souvent, en visitant les jardins de l’Alhambra ou la mosquée de Séville, je constate combien ces lieux sont entretenus avec un grand soin, avec art. La mémoire andalouse est belle et continue d’être célébrée par des millions de touristes venus du monde entier.
Reste le problème des présides du nord du Maroc, deux villes en terre marocaine, dont l’Espagne, socialiste ou de droite, refuse de manière forte toute idée de rétrocession. Sebta et Melillia sont marocaines. Ce sont les dernières terres colonisées en Afrique!
Là, il y a un consensus Espagne: ces villes sont espagnoles et le resteront! Impossible d’en parler avec des hommes politiques. Pourtant, l’Espagne connaît le même problème avec Gibraltar, ville en terre espagnole. Feu Hassan II disait (je cite de mémoire) «le jour où l’Espagne récupère Gibraltar, nous récupérerons nos deux villes Sebta et Melillia». Question de patience.
Il en est de même de l’association du Maroc avec l’Espagne et le Portugal pour l’organisation du Mondial du football en 2030.
Tout cela prouve qu’on peut être voisin et ami. Ce que le voisin de l’Est n’a pas compris et ne comprendra jamais, parce que son âme a été confisquée par une junte militaire qui ne respecte pas son propre peuple et encore moins le pays qui l’avait aidé et soutenu durant sa guerre de libération.