À mesure que les extrêmes droites gagnent du terrain en Europe, et plus particulièrement en France, beaucoup de MRE formulent le projet de «faire leur hijra» au Maroc.
En rupture avec les idéaux d’une société qui prône la laïcité et où la stigmatisation des musulmans augmente, ils sont de plus en plus nombreux à opter pour un retour au Maroc. Un retour qui n’en est pas vraiment un puisque nombre d’entre eux n’y sont pas nés, et n’y ont jamais vécu. Du Maroc, ils ne connaissent que peu de choses, une carte postale estivale, l’ambiance des soirées ramadanesques ou les festivités de l’Aïd el Kebir tout au plus.
On s’imagine trouver au «bled», la solution aux problèmes de l’éducation nationale française qui impose des principes en opposition à une certaine vision de l’islam. On se dit qu’on vivra en accord avec nos principes religieux sans avoir à souffrir de vivre en décalage avec les autres. Ou encore que les femmes pourront enfin vivre normalement, sans risque d’être pourchassées pour port du voile et de l’abaya ou perverties par des mœurs occidentales.
«Je voudrais vivre dans un pays où je ne me pose pas la question de savoir si tel ou tel produit est halal, où je peux faire mes cinq prières au travail sans me cacher, où mes enfants peuvent bénéficier d’études de qualité à la fois pour leur avenir et où ils apprendront la religion, etc.», cite ainsi en guise de témoignage le site Muslim expat, l’une de ces nombreuses plateformes qui pullulent aujourd’hui, spécialisées dans l’organisation d’un nouveau type de voyage, les hijras.
Mais le Maroc est-il vraiment la terre promise de ce type de projet, celui d’une nouvelle vie basée sur une certaine pratique de la religion? Rien n’est moins sûr. Le Maroc est une terre musulmane, assurément, mais avec une vision de la religion qui prône la coexistence et les avancées en matière de droits des femmes. C’est là que le bât blesse pour certains candidats, les plus rigoristes, à la hijra.
Ainsi, alors que le Maroc s’inscrit pleinement dans un travail de révision de la Moudawana, afin de supprimer du Code de la famille les inégalités entre sexes qui y prévalaient encore, cette initiative portée par le roi Mohammed VI fait grincer des dents les islamistes du Maroc, et d’ailleurs.
Les féministes marocaines ont ainsi été diabolisées sur la Toile au point que sur le réseau X, une véritable chasse aux sorcières est actuellement en cours. À coups d’insultes et de menaces, de nombreuses internautes marocaines, qui soutiennent ces avancées en matière de droits des femmes, témoignent des violences qu’elles subissent au quotidien. À ces femmes politiques ou citoyennes lambdas engagées dans la voie du militantisme, on rétorque ainsi: «le djihad politique pacifique nous appelle. Il faut défendre la patrie des diables féministes», ou encore «l’influence grandissante du féminisme au Maroc doit être combattue. Quand les féministes demandaient la nationalité par la femme, beaucoup disaient que ça n’arriverait jamais et pourtant cela est arrivé», écrit l’un tandis que dans beaucoup d’autres témoignages, c’est l’adjectif «haram» qu’on accole au féminisme avec un appel à revenir aux règles de la Charia.
On réfute ainsi en bloc les arguments de celles et ceux qui ouvrent le débat sur l’égalité dans l’héritage, le droit à l’avortement, la fin du mariage des mineures, la fin de la tutelle juridique du père sur les enfants en cas de divorce et en règle générale la défense du principe d’égalité et de justice de genre… un combat qui fait sauter au plafond l’ancien chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, qui trouve dans ces candidats à la hijra à la vision rigoriste de l’islam, un nouveau terreau pour planter ses idéaux.
Certes, tous les Marocains résidant à l’étranger ne réfléchissent pas de la même manière et l’idée n’est pas ici de stigmatiser une communauté. Loin s’en faut. En revanche, il est indispensable que cette petite sphère, qui s’exprime haut et fort sur les réseaux sociaux, soit consciente que le Maroc ne correspond pas au fantasme qu’elle s’en fait.
Les féministes ne sont par ailleurs pas le seul caillou dans la babouche de ces prêcheurs d’un autre monde, et d’un autre temps. Il faudra aussi composer avec un système éducatif qui pèche par ses fragilités et où l’arabe est la langue principale. Nombreux candidats à une nouvelle vie marocaine ont ainsi opté pour l’enseignement français (quelle ironie), leurs enfants ne parlant pas l’arabe, et se retrouvent à devoir payer très cher un enseignement qui était naguère gratuit pour eux en France. Et comment faire quand vos enfants sont finalement considérés comme des étrangers ne maitrisant pas leur langue dans les écoles publiques ou privées marocaines? Certains choisissent alors l’enseignement à domicile.
À cela s’ajoute le système de santé public qui souffre de nombreuses défaillances, les cliniques privées qui pèchent par leurs frais exorbitants et que ne compensent pas, comme en Occident, les aides sociales… Alors non, le combat féministe est loin d’être le seul accroc à cette vision fantasmée d’un Maroc «hijrique».
Ce dont ces candidats au grand départ doivent être assurés, c’est que ce n’est pas au Maroc de s’adapter à eux, mais bien à eux de s’adapter au Maroc, et d’épouser son long combat dans le temps pour des avancées en matière de droits pour tous, y compris les femmes. Cela ne correspond clairement pas aux discours salafistes qui gangrènent une partie de la sphère religieuse musulmane dans certains pays occidentaux, mais c’est ce qui prévaut chez nous, au Maroc. Il faudra s’y faire ou changer de destination hijra. Pourquoi pas l’Arabie saoudite? Et encore, les femmes ont désormais le droit d’y conduire… le monde part en vrille.