L’Enfer, c’est les autres. Et le Paradis?

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Vous savez quoi? Nous allons ensemble corriger Sartre.

Le 29/04/2020 à 11h49

C’est l’une des phrases les plus célèbres de toute la philosophie. «L’enfer, c’est les autres» est la dernière réplique de Huis Clos, la pièce écrite par Jean-Paul Sartre à Paris en 1943, en pleine Occupation. On la connaît dans toutes les langues, on la tague sur les murs, je l’ai vue sur un ticheurte.

C’est aussi une citation mal comprise, le plus souvent. Rien à voir avec la misanthropie. En fait, Sartre voulait exprimer deux choses qui sont essentielles dans son système. D’abord, l’existence d’autrui est constitutive de l’image que nous avons de nous-mêmes. C’est en nous regardant avec les yeux des autres que nous nous jugeons. (L’homme qui vit tout seul au fin fond de la jungle n’a aucun point de vue moral sur ses actions. Il ne “vole“ pas lorsqu’il cueille des fruits, il ne “ment pas“ lorsqu’il se raconte des histoires, il n’est hypocrite en aucun cas…) Par conséquent (et c’est la deuxième idée), si nos rapports avec les autres se trouvent être mauvais, viciés, conflictuels alors nous avonsune mauvaise image de nous-mêmes, nous sommes mal dans notre peau, nous sommes déchirés: nous sommes en Enfer.

En ces jours de confinement, la phrase de l’auteur de La Nausée prend un relief inattendu.

Ceux qui passaient leurs journées dehors, dans un anonymat bien pratique, ceux qui allaient s’isoler à la pointe des jetées ou dans des cafés où on ne les connaissait pas, ceux-là expérimentent aujourd'hui dans le confinement, et de la façon la plus brutale qui soit, le poids de la sentence de Sartre. Les voici confrontés à chaque instant aux autres, à leur regard, à leur jugement –et tout cela agit sur leur estime de soi. S'ils se découvrent inutiles, veules, peu recommandables, comment s'étonner que la violence explose?

Vous me dites:

– Oh là là, qu’est-ce qu’on est sérieux aujourd’hui, Mr. L. Et même sinistre…

Vous avez raison. Mais vous savez quoi? Nous allons ensemble corriger Sartre. (Nous n’avons peur de rien.)

Parce que quand même, nous avons appris quelque chose, dans cette épreuve inattendue. Quelque chose de vital.

Regardant les rues désertes, au loin une autoroute vide, un ciel uniformément bleu (sans les traînées de condensation des avions), observant un silence inhabituel, nous avons compris que ce qui donne du sens au monde, ou plutôt du goût, c’est l’amitié, l’amour, la tendresse, la camaraderie –ces sentiments désintéressés.

Peut-on se passer de ceux qui nous donnent tout cela? On peut se passer des “autres“, au sens de Sartre. Mais ceux-là?

L’Enfer, c’est peut-être les autres; mais le Paradis, assurément, ce sont quelques-uns. Et ça, monsieur Sartre, ça fait toute la différence.

Par Fouad Laroui
Le 29/04/2020 à 11h49

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VOS RÉACTIONS

Je cherchais et j'ai trouvé un texte petit soit-il m'a donné une grande expérience . Il m'a sorti hors du commun . Merci !

Je vous remercie pour cette magnifique pensée philosophique, à laquelle j’adhère complètement! Heureusement que les 'quelques uns' existent aussi! Le Covid-19 nous a fait ressentir leur importance dans notre vie et parfois le besoin vital de les avoir ...

J’adore la relecture de cette fameuse phrase ,avec les lunettes du confinement ,beaucoup de personnes vont sortir certes transformés de cette épreuve inédite ,et que c’est beau de remettre en question certaines convictions que nous tenions pour des paroles sacrées ,partager avec l’autre donne du sens à des choses qui peuvent paraître ordinaires quand on les fait tout seuls ,l’autre peut nous compléter ,il peut agacer aussi ,et quand on apprend qu’il est un miroir de nous ! Tout peut changer ...

Quand on est ignorant en littérature et philosophie, vos textes ; même courts donnent le vertige, … Mais, c’est un régal ! Merci

Effectivement,la citation de Sartre a toujours été mal comprise et lui-même s'en est expliqué.Mais,c'est justement la mauvaise interprétation qui prime,qui est réaliste,celle qui fait penser à une autre citation "...le diable a créé la petite ville" d’Edmond About.L'enfer dans la vie de tous les jours,loin de toute spéculation d'ordre philosophique,ce sont des individus qui ne peuvent pas souffrir votre existence:les envieux,les jaloux;les haineux...ceux qui vous en veulent personnellement,enragent devant le moindre succès que vous réalisez.Et le paradis?C'est quand on vous laisse tranquille avec tout le reste qui est déjà dit dans l'article.

TOUTE LA SAGESSE RESIDE DANS LE FAIT DE TRANSFORMER CE QUE MONSIEUR SARTRE APPELLE L ENFER EN PARADIS PAR NOTRE COMPORTENENT VIS A VIS DES AUTRES EN SE TRANSFORMANT SOI MEME IL FAUT S EFFORCER D ALLER VERS QUI NE VIENT PLUS DE DONNER A CELUI QUI VOUS A PRIVE DE PARDONNER A CELUI QUI A ETE INJUSTE ENVERS VOUS NOUS VERRIONS ALORS LE PARADIS TERRESTRE S ELAŔGIR AVEC L ESPOIR PAR LA SUITE DU PARADIS ETERNEL CAR LES PRESCRIPTIONS PRECEDEMMENT CITEES SONT CELLES DE NOTRE PROPHETE

Merci pour ce joli cours de philo, monsieur Laroui.

Bien dit Ami Fouad !

Il n y a d’enfer pour les hommes que la stupidite et la mechanchete de ses semblables Marquis de Sade

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