Le réquisitoire du bâtonnier de Rabat: « Le nouveau Code de procédure pénale légifère en défaveur des associations anti-corruption » 

Aziz Rouibah, président du barreau de Rabat. (Y.Mannan/Le360)

Le 23/05/2025 à 15h19

VidéoLa réforme du Code de procédure pénale a été adoptéE à la majorité par les députés. Dans cet entretien, Aziz Rouibah, président du barreau de Rabat, revient sur les entraves imposées aux associations engagées dans la lutte contre la corruption, déplore l’interdiction faite aux avocats d’assister une personne en garde à vue, tout en soulignant certaines avancées, notamment en matière de détention préventive.

Pour mieux comprendre les articles contestés notamment par des acteurs de la société civile et certains juristes, Aziz Rouibah, président du barreau de Rabat, explique dans un entretien accordé à Le360, que les différentes parties, députés, avocats et juristes sont arrivées à un accord sur «un ensemble de principes fondamentaux concernant ce projet qui a conduit à des résultats très positifs et importants».

Le président du barreau ajoute que certaines dispositions ont suscité une controverse notamment l’article 3 qui exprime «une position politique claire envers deux entités, à savoir les associations qui luttent contre la corruption et dénoncent les atteintes aux fonds publics ainsi que le ministère public».

«Parce que les associations ayant un historique prouvé dans ce domaine seront désormais définitivement privées de ce rôle», souligne-t-il. Pour le cas du ministère public, l’article 3 «en limite les prérogatives s’agissant de crimes financiers. Il n’a plus le droit de mener automatique d’enquêtes ni d’engager des poursuites contre les personnes soupçonnées d’atteintes aux deniers publics», estime l’avocat. Pour ce dernier, «désormais de telles actions ne peuvent être entreprises que sur la demande express de la Cour des comptes ou de l’Instance nationale de probité».

Le président du barreau de Rabat estime que «cela reflète des arrière-pensées politiques, traduisant une méfiance envers ces associations. On diminue leur rôle, ce qui constitue une position politique manifeste».

À la question de savoir s’il est acceptable d’exclure ces associations, il répond par la négative. «Bien sûr que non. En tant que juriste ou avocat, je ne peux accepter une telle disposition. Pire encore, l’article 7 du même code renforce les restrictions sur la capacité des associations à se constituer partie civile. Avec le nouveau Code de procédure pénale, cela n’est possible qu’à des conditions strictes, qu’en vérité plus de 90% des associations ne peuvent remplir», comme par exemple bénéficier du «statut d’utilité publique, très rare au Maroc, ou obtenir l’autorisation du ministre de la Justice».

Pour lui, cela constitue «un danger grave notamment pour les associations féminines qui ont joué un rôle clé dans la défense des droits des femmes». Ces associations «seront exclues car elles ne remplissent pas ces conditions. Ce qui est frappant, c’est que ces associations ont souvent devancé l’État dans la lutte contre la violence envers les femmes», en créant des centres d’écoute et d’hébergement avant même l’existence de la loi.

L’avocat basé à Témara se demande: «Comment peut-on réduire leur rôle par une simple disposition légale alors que le gouvernement se dit moderne et défenseur des libertés, alors qu’en même temps il restreint maintenant les rôles des associations féminines».

«Certes, il y a eu des avancées, notamment en matière de droits de la défense et de régulation de la détention préventive. Mais cela reste en deçà des aspirations», a-t-il estimé avant d’ajouter qu’en 2025, dans un pays qui organisera bientôt la Coupe du monde, «il est étrange que l’avocat ne soit pas autorisé à assister la personne en garde à vue». Aziz Rouibah souligne le b.a.-ba de toute justice: «un procès équitable commence dès les premières heures de la procédure».

Par Mohamed Chakir Alaoui et Yassine Mannan
Le 23/05/2025 à 15h19