Le billet aller-retour Rabat-Séville coûte le prix d’un dîner raisonnable, avec un ou deux extras. C’est plus rapide et moins cher que le Boraq pour aller de Casablanca à Tanger. Vous imaginez?
C’est le miracle du low cost, dont je n’ai jamais compris le business plan. Je suis bête. Je compte encore avec les doigts de la main, comme nos grand-mères. Alors je réfléchis en me fiant à ce que les Américains appellent le «common sens». Voyons, si la compagnie low cost n’a pas fermé ses portes, c’est qu’elle gagne de l’argent. Bien sûr, elle fait des économies, n’offre aucun service. Et peut-être bien qu’elle paie mal ses employés. Et qu’elle reçoit des subventions publiques.
D’accord. Mais l’équation de base reste la même: gagner de l’argent en pratiquant des prix cassés, qui défient toute concurrence. Même ces petits prix dégagent une marge de bénéfice. C’est extraordinaire. Parce que cela signifie que la marge des compagnies «non low cost» est énorme. Indécente. Horrible.
Le low cost reprend un peu le principe du médicament. Même combat, même délire. Vous avez le produit A qui coûte tant, et vous avez le produit générique, qui porte un nom commercial différent, mais renferme la même molécule et le même principe actif, qui coûte jusqu’à dix fois moins cher. Bien sûr, me diriez-vous, les laboratoires ont besoin d’amortir le coût de la recherche et l’exclusivité de la licence d’exploitation ou du brevet d’invention.
D’accord, encore une fois. Mais le différentiel reste affreux. Et la marge insoutenable.
Comme vous avez dû le constater: je choisis mes adjectifs. Il s’agit d’être juste. Alors vive le low cost. Vive l’absence de service et de classe business. Vive l’absence du fameux petit rideau qui sépare habituellement les VIP des autres, et qui vous donne envie de militer chez Annahj Addimocrati pour crier tous les jours: vive le peuple, à bas la ségrégation sociale!
Le low cost vous envoie vers des destinations étranges, comme Bologne et ses arcades à l’infini. Il vous envoie vers des aéroports de campagne, comme celui de Beauvais où on s’attend à croiser une vache à lait en quittant le tarmac. C’est étrange, mais bourré de charme.
J’allais oublier l’essentiel: le low cost vous apprend à voyager sans bagage ou presque. Vous êtes dans une logique de survie, comme Noé au moment du déluge: vous emmenez une paire de chaussettes et de vêtements «intelligents», c’est-à-dire pliables à l’infini et qui ne prennent aucune place. Pas de superflu ni d’excédent, rien ne dépasse. Vous retrouvez votre dimension d’homme simple, qui consomme peu, mais utile. Un homme léger comme l’air, et donc libre de ses mouvements.
Alors, que veut le peuple? Que le low cost puisse l’emmener en Afrique, mon seigneur. Il n’y a aucune raison qu’un voyage à Tombouctou coûte 20 fois plus cher qu’à Séville. Et ne me dites pas que c’est une autre histoire!