Le henné, plante magique

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueLe henné et ses rituels sont désormais reconnus par l’UNESCO comme patrimoine immatériel de l’humanité. Cette plante a accompagné les humains depuis des siècles, remplissant le rôle de protection, de soin ou encore d’instrument de séduction féminine.

Le 13/12/2024 à 11h00

Elhanna, arbuste épineux pouvant atteindre 6 mètres de haut, pousse dans les régions chaudes, notamment l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient, l’Inde et l’Asie centrale.

L’utilisation de ses feuilles, séchées et broyées, date d’au moins 50 siècles. Les Pharaons s’en coloraient les cheveux et les ongles, en embaumaient les morts pour les purifier et adoucir leur passage vers l’autre monde.

Henné viendrait du mot hébreu Hen, «trouver grâce». Ou de l’arabe, hanane, l’affection, précisément celle de Dieu. Un adage marocain dit: hanni, yhhane ‘lik Allah (mets du henné, Dieu te bénira).

Le henné fait partie des rituels de nombreux pays, dont les pays arabes, l’Iran, le Pakistan ou encore l’Inde. Il a toujours été très apprécié par les musulmans. Le Prophète avait conseillé aux hommes de s’en teindre les cheveux pour se différencier des Juifs et des chrétiens. Lui-même s’en colorait les cheveux qu’il portait longs jusqu’aux épaules. Mais il a interdit l’ornement du corps pour les hommes (Boukhari et Mouslin).

La médecine reconnaît les vertus de cette plante aux propriétés antifongiques -qui suppriment les champignons et les mycoses-, antibactériennes et antispasmodiques, permettant de calmer les douleurs.

En médecine traditionnelle, on en fait une pâte avec de l’eau chaude, parfois de l’eau de rose ou de fleur d’oranger, mélangée avec des clous de girofle. Elle est appliquée en usage externe. Dans les pays chauds, on l’applique sur la tête pour se rafraîchir ou soigner une insolation.

Le henné fait baisser la fièvre, atténue les migraines et les inflammations intestinales, soigne les ongles, les plaies, le cordon ombilical du nouveau-né, les entorses, les fractures et les luxations. Mélangé à du smène (beurre rance), il traite boutons et brûlures. Ses feuilles, mâchées, soignent les aphtes. En infusion, elles soignent les diarrhées, les infections des yeux, et faciliteraient même l’accouchement…

Le henné servait aussi de teinture en maroquinerie, pour les cuirs et les peaux, ainsi que pour la laine à tisser les tapis et les tissus.

Lié à différentes croyances, il éloigne le mal. Pour protéger le bétail des maladies et du mauvais œil, on lui orne la tête, le corps ou la queue avec du henné. Et dans des confréries, des hommes en transe en boivent en décoction pour apaiser les mauvais esprits.

La magie du henné a embelli la chevelure féminine et sublimé les longues tresses. Elle fortifie la chevelure, l’hydrate, lui donne de la brillance, régule le sébum, ralentit la chute, supprime les poux. Aujourd’hui, l’industrie de la cosmétique l’utilise pour des produits modernes.

Le henné symbolise aussi les moments festifs. Le corps devient une toile vivante, éphémère, aux motifs floraux symbolisant la prospérité. Un style d’ornement qu’on retrouve en Inde et dans des pays du Golfe. Au Maroc, nos motifs, hérités des Amazighs, ont des formes géométriques.

Pour les mains et les pieds, la poudre est mélangée à l’eau chaude, du sucre, du jus de citron ou du thé dont l’acidité intensifie les colorants naturels. La pâte repose plusieurs heures pour libérer ses pigments et donner une couleur foncée.

Pour les cheveux, on ajoute de la poudre de rose, de clous de girofle, de l’eau de fleur d’oranger ou de rose, ou encore de l’huile d’olive ou d’argan.

Les femmes s’en enduisent le corps, au hammam, après gommage avec elkisse (gant exfoliant). Elles y ajoutent du ghassoul (argile) et d’autres produits adoucissants pour hydrater le visage et le corps, en leur donnant une teinte dorée. Ses propriétés astringentes resserrent les pores et retarderaient le vieillissement.

Le henné est un ornement prénuptial. En Inde, la cérémonie du henné, aussi appelée Mehndi, est obligatoire pour bénir l’union.

Cette cérémonie est surtout destinée aux femmes. Mais au Maroc, dans de nombreuses tribus amazighes et arabes, le marié passe aussi par le rituel d’elhanna. Il se contente toutefois d’une teinte sur les paumes ou le bout des doigts, pour la baraka.

Le henné de la mariée reçoit une attention particulière. Traditionnellement, sa préparation est confiée à une femme mezouara, c’est-à-dire mariée, ayant enfanté et jamais perdu d’enfant. Elle doit aimer la mariée à qui on peut nuire par la sorcellerie à travers son henné, lui jeter des sorts comme tqaf, pour l’empêcher d’enfanter, ou lakhyouba (laideur), pour que son mari la délaisse.

Les jeunes filles se mettent du henné de la mariée pour se marier à leur tour. Naqqacha ou lhannaya a déjà préparé la pâte, posée sur un plateau à côté d’un pain de sucre porte-bonheur, un bouquet de menthe, symbole de prospérité, et des bougies allumées pour le bonheur.

Toujours appréciée par les jeunes femmes, la cérémonie d’elhanna a lieu deux ou trois jours avant le mariage, pour embellir le corps et intensifier le désir du mari. Elhanna est liée à l’érotisme. Les hommes fantasmaient sur la femme naqcha, portant du henné.

Les femmes gardaient les mains et les pieds en l’air pour laisser sécher le henné. En hiver, elles les approchaient d’un brasero. Le henné est arrosé d’un jus de citron et de sucre pour intensifier la couleur. Les femmes restaient immobiles plusieurs heures, avant de se laver et s’émerveiller face aux jolis motifs.

Aujourd’hui, on la sèche au séchoir à cheveux. Certaines ajoutent à la pâte un diluant chimique, déconseillé, pour une rapide coloration.

Lors des fêtes religieuses, fillettes et femmes s’en décorent les mains. À la Mimouna, fête juive marocaine, le henné est sur la table pour attirer joie et bénédiction.

Le henné est aussi lié à la fécondité. Au Maroc, la femme s’en orne durant le septième mois de grossesse, en cérémonie, pour qu’Allah yhane ‘liha (Dieu l’affectionne).

Dans certains pays, le henné est appliqué sur le ventre des femmes enceintes pour leur protection et celle de l’enfant. Au nouveau-né et au garçon circoncis, certains mettent une petite boule dans la main comme protection.

Pour honorer leurs invitées, des familles ramènent une naqqacha, en signe d’hospitalité.

Le henné est un art vivant, dynamique. Ses rituels sont des moments de partage et de beauté, qui unissent les générations autour de traditions, même dans un monde moderne.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 13/12/2024 à 11h00