La vallée de l’Ourika, joyau aux mille couleurs menacé et menaçant

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueUne vallée magique au pied du Haut Atlas, prisée pour sa beauté sauvage, ses paysages verdoyants et sa rivière rafraîchissante. Elle est aujourd’hui en péril!

Le 09/05/2025 à 10h59

La vallée de l’Ourika est dépositaire d’une partie de l’histoire d’un Maroc ancestral, envoûtant. Le temps y est suspendu entre les eaux fraîches qui dévalent les roches et les terrasses en étages d’où émanent les douces senteurs du thym et du romarin.

C’est un tableau mouvant que le soleil peint chaque jour différemment. Le long du trajet, le regard se perd dans une palette éclatante où la terre ocre se dégrade lentement en verts profonds, suivant les caprices de la lumière et des saisons.

Les amandiers en fleur, les pommiers flamboyants, pêchers, abricotiers et autres arbres fruitiers ornent les flancs de la vallée. À chaque virage, la nature change de teinte, tantôt sèche et rocailleuse, tantôt généreuse et luxuriante.

Le long de la rivière, le vert des peupliers accompagne les flots d’une eau qui serpente sur plusieurs kilomètres. De beaux contrastes: la rudesse minérale des montagnes face à la fraîcheur végétale, la sérénité des villages amazighs et les éclats vifs des tapis suspendus sur les devantures des échoppes le long de la route, entre rouge grenat, bleu cobalt et orange feu. Les poteries artisanales rutilent sous l’œil des cigognes en terre cuite, de toutes les couleurs.

Toute cette magie est dangereusement menacée par une urbanisation galopante, anarchique. Des montagnes parsemées de constructions à deux ou trois étages, dont des résidences secondaires, dont l’architecture est une insulte à cette harmonie millénaire. D’autres habitations, bien moins luxueuses, parfois insalubres, sont habitées par des familles rurales cherchant à se rapprocher du confort urbain.

Le long de l’Oued, des ponts précaires sont suspendus pour joindre les deux rives. Construits à mains nues, ils rappellent un temps ancien où l’être humain, avec de simples cordes et des rondins, dressait des passerelles pour braver l’isolement.

Les habitations forment des douars éparpillés. Malgré les efforts de l’État pour désenclaver ces zones, elles restent inaccessibles par des véhicules. Porter secours à un malade ou à une femme qui accouche est impossible.

Peut-être que ma remarque est insensée. Ces familles ont le droit de construire leur habitation sur leur lopin de terrain, puisqu’elles n’ont pas le choix. Mais le tremblement de terre d’Al Haouz a fait émerger une réalité: la précarité des montagnards est également due à la dispersion des douars. Que faire? Interdire ces constructions? Trouver d’autres solutions relatives au foncier? C’est aux communes rurales et à leurs élus d’y répondre.

Des locaux de commerce, le long de la route, prolifèrent de manière anarchique non régulée, suivant une architecture hideuse, sans plan d’aménagement.

Mais la plus grande menace, tacite, est l’énorme pollution engendrée par les restaurants et établissements touristiques installés sur les rives de la rivière. Des terrasses très (trop) nombreuses, installées parfois dans le lit même de la rivière. Un cadre idyllique pour déguster un délicieux tajine, les pieds dans l’eau (de l’Oued). Mais…

«La majorité de ces restaurants ne dispose pas de systèmes d’assainissement. Les eaux usées et les déchets alimentaires sont rejetés dans la rivière.»

La pollution est d’abord visuelle. Le long de la vallée, entre la route goudronnée et les abords de l’Oued, s’empilent des masses de parasols rouges, orange ou bleus, des tables en bois ou en plastique, des matelas multicolores, des cuisines sous des préaux improvisés, des butanes stockés près des fourneaux… sans aucune norme d’hygiène ni de sécurité.

Exotique. Mais derrière cette carte postale séduisante se cache une réalité bien moins reluisante. La majorité de ces restaurants ne dispose pas de systèmes d’assainissement. Les eaux usées et les déchets alimentaires sont rejetés dans la rivière.

On note aussi usage intensif de plastique: bouteilles, sachets et emballages finissent souvent dans le lit de la rivière ou sur ses berges. Chaque crue emporte avec elle des kilos de déchets, souillant les eaux et affectant la faune et la flore locales.

Des habitants m’ont confié leur inquiétude face à la fréquentation croissante, aux comportements irrespectueux des visiteurs et à l’indifférence des autorités.

Toute cette activité se déroule dans le lit de la rivière ou sur ses berges! Comment les autorités ont-elles permis cette imprudence, alors que cette région est toujours menacée par des inondations?

La dernière a eu lieu en 1995. Des pluies diluviennes ont entraîné un torrent de boue qui a enseveli habitations, véhicules et commerces, faisant 200 morts et des dizaines de disparus. À cette époque, il n’y avait pas encore de restaurants sur le lit de la rivière. Si une nouvelle inondation se produisait, ses effets seraient encore plus catastrophiques.

Depuis ce drame, il y eut quelques programmes de prévention. Un système d’alarme dans le bassin versant de l’Ourika a été installé par la province d’Al Haouz avec l’aide de la coopération internationale japonaise. Mais, nous assure un acteur associatif de la région, si une inondation survient, comment aviser les centaines de personnes dispersées sur plus de 30 km? Comment les évacuer, alors qu’aucune équipe n’a été formée pour gérer une telle crise?

Cette vallée reste le seul lieu de fraîcheur pour les Marrakchis durant la fournaise de l’été. Il n’y a qu’une route qui y mène. Les embouteillages y sont énormes. Les routes restent parfois bloquées plus deux heures. Imaginez ce que cela donnerait en cas d’évacuation!

Certes, cette activité crée de l’emploi pour les locaux, mais cela se fait au détriment de l’environnement. Les acteurs associatifs contactés déplorent l’absence de contrôle strict et l’indifférence des élus.

Une cellule du ministère de l’Intérieur œuvre pour la gestion de situations de crise. Mais il reste beaucoup à faire.

La vallée de l’Ourika et ses habitants méritent une protection plus sérieuse des risques d’une inondation, et de réels efforts pour préserver son écosystème fragile, afin de pouvoir la léguer aux générations futures.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 09/05/2025 à 10h59