Au Maroc, comme partout dans le monde, la liberté d’expression a été acquise grâce au militantisme de citoyennes et citoyens, dont beaucoup ont été emprisonnés, torturés. D’autres y ont laissé leur vie. Mais nous parlons d’une liberté qui, comme toutes les autres, a ses limites, et non de l’anarchie que veulent nous imposer certains youtubeurs et youtubeuses.
Le droit à la liberté d’expression est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948). Mais toute liberté a ses limites, dont le respect d’autrui, des valeurs et des lois. Sinon, elle porte atteinte à autrui, blesse sa dignité ou le met en danger. La liberté d’expression doit respecter l’intérêt général et les libertés d’autrui.
Or, des youtubeurs profanent cette liberté. N’importe qui se dit influenceur ou influenceuse. Il suffit de se mettre face à une caméra pour débiter des idioties, sans en mesurer les conséquences.
Un influenceur a un grand nombre d’abonnés qui lui font confiance et sur lesquels il exerce une grande influence. Les abonnés partagent des enregistrements audio et vidéo dont la diffusion touche des milliers de personnes. L’influenceur agit sur les opinions morales, intellectuelles, sur les comportements… Il peut manipuler son audience pour son propre intérêt, souvent pécuniaire.
Ces influenceurs ont des partenariats avec des marques ou sont sponsorisés par elles, et donc cautionnés par ces marques qui les paient grassement, sans la moindre considération éthique!
L’influenceur n’a pas besoin d’être un intellectuel, ni un spécialiste, ni une personne jouissant d’une notoriété. Il n’a besoin d’être ni qualifié, ni diplômé, ni même crédible! Cette facilité attire des youtubeurs sans scrupules, arrogants, abjects, capables de tout pour l’argent.
Certains sont actuellement jugés en détention. Un avocat de l’un d’entre eux évoque la liberté d’expression pour innocenter son client. De quelle liberté parle-t-il? Pas de celle pour laquelle plusieurs générations ont milité afin de renforcer la démocratie, dénoncer des abus, contribuer au respect des droits de l’Homme et participer à l’évolution du pays. Ces youtubeurs prennent des libertés interdites par la loi, par la morale, par les valeurs universelles…
La preuve, la liste des chefs d’accusation rapportés par les médias en ce moment: incitation à la discrimination et à la haine entre les personnes par des moyens électroniques, discrimination entre personnes physiques sur la base du sexe, diffusion d’allégations pour nuire et diffamer la vie privée des personnes, atteinte à la vie privée via les réseaux sociaux, menaces, injures, menace de crime, incitation à la haine et à la discrimination, atteinte à la pudeur publique, injures publiques, incitation au chaos au sein d’une institution sécuritaire, trafic d’êtres humains, consommation de drogues…
Avant, les personnes qui influençaient étaient respectables et respectueuses, crédibles, connues pour être performantes dans leur métier et ayant des comportements exemplaires. Aujourd’hui, on parle d’influenceurs et influenceuses dont certains sont des dépravés, aux mœurs douteuses et qui s’affichent ainsi sans scrupules.
Le comble, c’est que plus ils sont vulgaires et injurieux, plus ils font le buzz, et plus il gagnent d’argent!
«Les réseaux sociaux sont un tremplin qui peut offrir une audience massive, des opportunités lucratives et une reconnaissance sociale instantanée.»
Certains se défendent en prétendant faire de l’humour noir. L’humour noir traite de sujets sérieux avec sarcasme et ironie, mais sans méchanceté gratuite ni obscénité, sans mépriser une personne. Insulter les Amazighs et leur «petit cerveau» n’est pas de l’humour noir, mais une grave et impardonnable atteinte à la dignité de tout un peuple.
Pire. L’un de ces youtubeurs dit, dans une vidéo sur TikTok, que si le ministre marocain de la Justice a parlé d’ADN, il s’adressait aux hommes d’El Jadida, tous des proxénètes nés de pères inconnus, et à toutes les femmes d’El Jadida, qui seraient des prostituées!
Si ces youtubeurs ont bénéficié d’impunité, aujourd’hui, l’opinion publique s’y oppose. De nombreuses plaintes sont déposées dans les tribunaux par des individus et des associations. Le ministère de la Justice traite ces dossiers avec rapidité et sévérité.
Outre la recherche du gain, les jeunes sont en quête de célébrité facile. Les plateformes numériques sont un tremplin qui peut offrir une audience massive, des opportunités lucratives et une reconnaissance sociale instantanée.
La quête de célébrité rapide et du gain motivent la diffusion de discours haineux, d’informations erronées, de polémiques, de scandales… Beaucoup créent exprès des conflits avec d’autres créateurs pour s’insulter en direct avec une extrême vulgarité… et gagner de l’argent au passage!
L’appât du gain pousse à une surenchère dans des contenus sensationnalistes et provocants pour toucher les émotions fortes et attirer l’attention. Ces dérives ont des conséquences graves, surtout sur les jeunes, facilement influençables.
De nombreux pays s’activent pour encadrer juridiquement ces dérives, dont le Maroc. L’Australie vient d’adopter une loi obligeant des plateformes comme Instagram, Facebook, X, TikTok et Snapchat à empêcher les moins de 16 ans d’y accéder. Des amendes allant jusqu’à 50 millions de dollars australiens pourraient s’appliquer en cas de non-respect de cette restriction.
Il existe des youtubeurs qui s’imposent par la qualité et l’authenticité de leurs contenus. Les influenceurs doivent être intègres et des exemples en matière d’éthique, avec des valeurs solides.
La notoriété est censée être le fruit d’un travail sincère et honnête, et doit être construite sur le respect de la dignité d’autrui et de la liberté d’expression.