Éternellement jeûne

Karim Serraj.

ChroniqueL’abstinence alimentaire est un mystère biologique, qui commence depuis peu à livrer ses secrets. Par-delà la spiritualité qui enrobe le mois de ramadan, il y a lieu de comprendre pourquoi nous jeûnons et ce que disent aujourd’hui les dernières révélations de la science sur la privation de nourriture.

Le 10/03/2024 à 12h00

Le jeûne rend jeune... En 2016, le japonais Yoshinori Ohsumi a reçu le prix Nobel de médecine pour ses travaux sur le jeûne. Pendant 27 ans, il avait mené des expériences sur des rats de laboratoire, des chimpanzés, puis sur lui-même pour percer l’énigme.

Que dit ce biologiste? Privé de nourriture, le corps se métamorphose. Il entre dans une autre dimension matérielle et psychique. Il réactive de vieux mécanismes humains. Après quelques heures de privation, notre corps cherche à se nourrir, mais comme il ne reçoit rien de l’extérieur, pas de calories, pas de glucides ni de lipides, et bien il va les chercher à l’intérieur de nous-mêmes. Il va puiser dans nos réserves. Il trouve l’alimentation dont il a besoin dans les cellules mortes, les cellules vieilles ou cancéreuses, la graisse qui s’accumule sous la peau et autour d’organes comme les reins et les muscles, il recycle les microbes, les tissus malades et c’est cela qui nous nourrit lorsqu’on jeûne. Une véritable aventure intérieure.

Le corps pratique l’autophagie, c’est-à-dire qu’il se mange lui-même, se dévore, se bouffe, et c’est naturel. C’est le grand nettoyage que le Nobel appelle «recyclage» de la cellule. C’est-à-dire que chaque cellule des poumons, du coeur, du foie, de l’intestin, des reins, etc., va subir un examen de santé et être dévorée et remplacée par du neuf si elle comporte une anomalie. L’être humain s’autorestaure pendant la restriction alimentaire.

Qu’implique ce processus étonnant sur le plan médical? Une régulation de la tension artérielle, de la glycémie et du cholestérol, une disparition de l’arthrite qui regroupe plus de 100 maladies caractérisées par l’inflammation des articulations, un renforcement des défenses immunitaires, une guérison des maladies digestives, une amélioration des pathologies psychiques (psychose, dépression, névrose, etc.), une purge de la peau… La liste est loin d’être exhaustive.

Le jeûne déclenche un instinct de guérison. Aujourd’hui bien documenté, le jeûne fait l’objet d’expériences médicales poussées dans les laboratoires. La plus célèbre expérience a pu démontrer que le cancer diminuait ou carrément s’estompait chez les sujets qui pratiquent l’abstinence alimentaire. Bien évidemment, il s’agit de thérapies encadrées médicalement par un médecin. En Allemagne, en Californie, en Russie et d’autres pays, le jeûne est devenu une thérapie remboursée par la sécurité sociale.

L’homme a toujours rêvé d’une fontaine de jouvence. C’est l’un des plus vieux mythes de l’humanité: rajeunir. De Gilgamesh à Dorian Gray, d’Hercule à Voldemort, en passant par Peter Pan ou Jack Sparrow, ces personnages cherchent à obtenir ce trésor convoité entre tous.

Hippocrate jeûnait presque toute l’année. De même pour Socrate et Platon, qui demandaient à leurs disciples de pratiquer avec assiduité une restriction alimentaire. Dans toutes les cultures, on a pu observer des traditions de privation alimentaire. À l’ère moderne, nous vivons dans l’abondance et n’avons aucune raison de nous priver de nourriture. Pourtant, la sagesse des anciens a introduit le jeûne dans les trois religions monothéistes. Dans le judaïsme, le jeûne signifie une abstention complète de nourriture et de boissons, eau comprise, comme en islam. Le plaisir charnel, la prise de médicaments, voire le brossage de dents sont interdits lors des deux jeûnes majeurs, c’est-à-dire yom kippour et tisha beav. Dans le christianisme, le jeûne est appelé carême, et il dure 40 jours (bien qu’il ne soit plus pratiqué par les sociétés et semble réservé aux moines et aux hommes d’Église). Seul le repas du soir est autorisé. Outre la privation de nourriture, d’autres contraintes sont à respecter: l’abstention sexuelle et l’interdiction des mariages et des plaisirs.

Chez nous, nous avons le ramadan, 30 jours, et c’est une bénédiction dont on ne profite pas assez des effets. De tout temps, les musulmans ont pratiqué le jeûne, et parmi eux les plus raisonnables évitent de se goinfrer le soir, au ftour et au dîner. Car pour que l’autophagie soit déclenchée, ainsi que le processus d’épuration des cellules malades et de rajeunissement, il faut maintenir le corps dans une frustration alimentaire. Le ramadan demeure une coquille vide si la personne se livre à des excès de nourriture.

Bien des scientifiques affirment désormais que le jeûne, s’il est pratiqué régulièrement, permet d’éviter les maladies chroniques de la vieillesse, et -ô miracle- à l’être humain de vivre jusqu’à 120 ans, ce qui est l’âge naturel que nous n’atteignons pas, que nous sapons en mangeant démesurément, en empêchant le corps de se régénérer.

Notre culture musulmane a légué un trésor à l’humanité. Pour inverser le mécanisme de vieillissement des cellules humaines, il est nécessaire de rester frugal. De manger très peu. D’apprivoiser notre corps. L’abstinence du jeûne guérit la plupart des plaintes de l’homme.

Bon ramadan…

Par Karim Serraj
Le 10/03/2024 à 12h00