C’est d’un tout petit problème que je voudrais vous entretenir aujourd’hui. En fait, il est apparemment minuscule mais il a valeur d’exemple. Il révèle quelque chose de préoccupant au sujet de notre comportement collectif: une propension à réduire à néant un progrès.
Commençons par le commencement. Il se trouve que je fréquente beaucoup les hôtels de notre beau pays, au gré de cours, de conférences et de colloques qui ont lieu un peu partout, de Tanger à Dakhla, de Rabat à Marrakech, etc. En général, tout se passe bien et je n’ai pas à me plaindre de mes séjours, à part (parfois) sur deux points: la musique tapageuse dans la salle à manger, même au petit déjeuner, et le non-respect de l’interdiction de fumer dans les lieux publics. (J’ai dû enguirlander récemment un butor qui s’était permis d’allumer un gros cigare puant au milieu du lobby du Sofitel Palais des Roses de Rabat.)
À part ces deux points, en voici un troisième qui commence à m’irriter.
Dans la plupart des hôtels, quand le client entre dans sa chambre, il lui faut insérer la clé (qui a le format d’une carte de crédit) dans une fente prévue à cet effet pour que la lumière circule. Inversement, dès qu’on enlève la clé, tout s’éteint dans la chambre, même la télévision, l’endroit plonge dans l’obscurité– mais peu importe puisque l’on s’en va. L’intérêt de cette micro-manipulation est évident: il s’agit d’économies d’énergie. On imagine sans peine le gaspillage provoqué par des dizaines de milliers d’ampoules brillant sans aucune raison dans des dizaines de milliers de chambres vides…
«Des gens intelligents, lucides, bien intentionnés prennent une décision rationnelle et réfléchie, qui va dans le bon sens, qui améliore les choses, qui est bénéfique au pays. Quelque temps après apparaissent des andouilles, l’air niais et la vue basse, qui d’un petit geste imbécile annulent tout et nous ramènent au statu quo ante.»
— Fouad Laroui
Cette petite opération qui ne demande aucun effort au client est donc hautement bénéfique au pays. Bravo à ceux qui y ont pensé et à ceux qui l’ont mise en œuvre.
Mais… (Il y a toujours un ‘mais’, hélas…) Je constate de plus en plus souvent en entrant dans les chambres d’hôtel qu’il y a déjà une clé dans la fente, parfois un simple morceau de carton. Pourquoi? Je ne sais pas. Qui a pris cette mauvaise habitude? Les femmes de ménage? La gouvernante? Le directeur? Mais pourquoi? Quel intérêt? Souvent, les lumières sont allumées, peut-être depuis plusieurs jours: rien ne s’y oppose.
Le schéma est le suivant: aiguillonnés par nos écolos, par une prise de conscience soudaine, par des incitations venues d’ailleurs, nous prenons une bonne décision. Et quelque temps après, nous trouvons le moyen de l’annuler.
Je ne parlerai pas de sabotage… Oh et puis zut: parlons de sabotage. Le schéma général est: des gens intelligents, lucides, bien intentionnés prennent une décision rationnelle et réfléchie, qui va dans le bon sens, qui améliore les choses, qui est bénéfique au pays. Quelque temps après apparaissent des andouilles, l’air niais et la vue basse, qui d’un petit geste imbécile annulent tout et nous ramènent au statu quo ante.
Ce schéma est malheureusement courant chez nous. Vérifiez.
Un autre exemple? Quand j’étais petit, à El Jadida, dans le quartier dit ‘Bouchrit’, la municipalité envoyait parfois des ouvriers changer une ampoule grillée au haut d’un lampadaire. Dès que les ouvriers avaient quitté les lieux, les sales gosses du quartier entamaient un concours de jet de pierres. Celui qui faisait voler en éclats la nouvelle ampoule, d’un tir bien ajusté, était salué par des cris d’émerveillement (quel exploit!), dans l’obscurité retrouvée…
Vous me direz que c’est exactement l’inverse de cette histoire de lumière dans les chambres d’hôtel. Oui et non. En fait, c’est le même schéma. Un pas en avant, deux pas en arrière.
En tout cas, pour cette histoire de carton glissé dans la fente des chambres d’hôtel, j’espère que le ministère du Tourisme enverra une circulaire sévère à tous les directeurs concernés.
Ne laissons pas la bêtise contrer nos efforts de bonne gestion du pays et de ses ressources.





