Lorsque nous pensons digitalisation et santé, les premiers mots viennent à l’esprit sont e-santé («e-health») ou télémédecine. Est-ce toutefois sur ce volet que se concentre l’initiative de digitalisation du secteur marocain de la santé? Autour de cette question s’est tenu, les 29 et 30 novembre dernier à Rabat, la première édition de l’International e-Health Forum (Forum international de la e-santé), organisée par le Centre innovation en e-santé (CIES) de l’Université Mohammed V.
L’événement a réuni des experts nationaux et internationaux, ainsi que des start-ups, afin de partager leurs connaissances, d’explorer des opportunités et de catalyser le progrès dans le secteur de la santé numérique. Parmi les compétences marocaines qui ont participé aux débats, la Professeure Amal Bourquia, experte en éthique et communication médicales, et présidente de la Société marocaine de santé et de l’environnement, et le Professeur Najib Amghar, secrétaire général du Conseil national de l’ordre des médecins, nous rapprochent du sujet.
Où en est donc le Maroc par rapport à l’e-santé? «Nous sommes en avance», répond d’emblée Pr Najib Amghar, qui assure que le Royaume a pleinement embrassé cette révolution numérique, citant en exemple la loi 9-8 sur la protection des données, avec laquelle le Maroc a été «l’un des premiers pays à adopter une loi pour protéger les données à caractère personnel». «Cela a vraiment démarré à grande vitesse au Maroc, avec l’extension significative de nouveaux outils, notamment dans le cadre de la réforme du système de santé qui a impliqué la généralisation de la couverture médicale et la création d’une Haute autorité de la santé, intégrant systématiquement des éléments numériques».
Pr Najib Amghar explique ainsi que les lois liées à la réforme du système de santé exigent dorénavant que tous les établissements de santé, publics ou privés, intègrent obligatoirement un système d’information. Ce dernier est requis pour collecter des informations, mais aussi pour se connecter à ceux d’autres acteurs de la santé, notamment les assureurs et les groupements de soins territoriaux (GST). Corollaire de cette démarche: la création, pour chaque patient, d’un dossier médical partagé, avec un parcours de soins actualisé, offrant une traçabilité renforcée tout le long de sa vie.
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Considérant le verre à moitié vide, Pr Amale Bourquia pense plutôt que le Maroc a un retard à rattraper. Pour elle, «l’enjeu véritable est d’apprendre à utiliser les nouvelles technologies. Le cadre réglementaire et le parcours éducatif des professionnels de la santé peuvent être actualisés».
Abordant le sujet de la télémédecine, elle estime que «des efforts doivent être faits rapidement pour permettre aux médecins d’utiliser la télémédecine et aux patients de bénéficier de ses multiples avantages». Elle rappelle ainsi que les actes de télémédecine, telle que les consultations à distance, nécessitent une autorisation préalable définitive, et que «l’aspect tarifaire devra être discuté après l’intégration des actes dans la nomenclature et l’avis favorable des autorités compétentes».
La question de la formation des médecins
Se voulant rassurant, Pr Najib Amghar affirme que l’arsenal juridique relatif à la télémédecine est prêt, ne nécessitant plus que quelques ajustements envisagés par le ministère de la Santé. Quant aux aspects tarifaires, il concède que «les actes de télémédecine ne sont pas encore remboursés (par l’assurance maladie), mais l’Ordre des médecins a fait une demande auprès des autorités compétentes pour les faire reconnaître comme des actes médicaux à part entière».
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En experte en communication médicale, Pr Amale Bourquia a déjà mené un sondage auprès de médecins, afin d’évaluer leurs connaissances et leur préparation à la transformation digitale. Et les résultats de l’étude, menée auprès de 1.023 praticiens, révèlent des informations éloquentes. Ainsi, 78% des médecins sondés disent avoir une connaissance générale des technologies de la e-santé (bonne dans 37% des cas, médiocre dans 23%), mais 39% d’entre eux n’ont jamais participé à une formation sur le numérique, les 61% restants n’ayant pas assisté à plus d’une conférence traitant du sujet. Autant dire que le chemin de la formation et de la généralisation de la médecine digitale est encore long.
Toujours est-il que pour la majorité des institutions publiques ou privées du secteur de la santé, la crise de la Covid-19 a été un déclic, jouant un véritable rôle d’accélérateur. Et pour cause, le système de santé marocain n’avait alors d’autre choix que d’intégrer de nouveaux outils numériques, alors que «d’autres pays, même plus développés, ont été contraints de travailler sur des canaux non sécurisés comme les messageries instantanées», argumente Pr Najib Amghar.
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Impossible de parler des nouvelles technologies sans évoquer l’intelligence artificielle, qui se profile déjà comme l’une des briques essentielles dans la construction de la médecine de demain. S’ils reconnaissent volontiers la valeur et l’utilité de cette technologie, nos interlocuteurs insistent sur son indispensable sujétion à un contrôle humain, seul garant du respect de l’éthique. Ce dernier est justement érigé au rang d’obligation dans l’utilisation par les professionnels de la santé de l’ensemble des services numériques, avec un accent particulier mis sur la confidentialité des données médicales et l’impératif du consentement des patients.
En guise de conclusion, les deux experts font un constat commun: malgré un léger retard dans la pratique de télémédecine, qui n’a pour le moment qu’un statut de pratique complémentaire à la médecine classique, le Maroc est sur la bonne voie, grâce à la convergence des efforts des institutions gouvernementales et des médecins. Et tout porte à croire que les patients, éléments ultimes de la chaîne, ont tout à y gagner. Surtout dans un pays qui souffre d’un réel déficit sanitaire, tant sur le plan de la couverture géographique qu’au niveau de l’effectif des compétences médicales.