Petit par sa taille, immense par sa valeur, c’est plus qu’un mot, mais une déclaration de foi, commune aux liturgies juive, chrétienne et musulmane.
Il dit à lui seul, tout ce qui nous lie malgré nos différences en nous plongeant dans un subtil univers de sens.
Dans la Bible hébraïque, il apparaît près de trente fois en tout, aussi bien dans la Torah ou dans les Livres des Prophètes (Neviim) que dans les Autres Ecrits (Ketouvim) dont les Cantiques des cantiques ou dans les Psaumes, marquant l’approbation et l’adhésion en toute confiance à l’alliance.
Le terme hébreu est ainsi rendu par le verbe genoito «Que cela soit» dans la traduction grecque des Septante et par «Fiat» dans la version latine appelée Vulgate.
Ceci dit, dans les prières solennelles de l’Église, ce mot hébraïque n’est généralement pas traduit, à l’instar de la fameuse acclamation alléluia pleine d’allégresse, pour en garder toute la puissance et l’intégrité du sens.
«La racine du mot amen, écrit l’abbé Nicolas Sylvestre Bergier, est le verbe aman, lequel au passif signifie être vrai, fidèle, constant. On en a fait une espèce d’adverbe affirmatif, qui, placé à la fin d’une phrase ou d’une proposition, signifie qu’on y acquiesce, qu’elle est vraie, qu’on en souhaite l’accomplissement».
Si l’usage chrétien est dans la continuité du Tanakh terminant une prière ou une invocation, traduit parfois par «Ainsi soit-il», il apparaît toutefois en un emploi singulier au début de discours prêtés à Jésus, parfois sous une forme redoublée, traduit par «En vérité» («Amen, amen, je vous dis !»).
En islam, le mot équivalent est Âmîne, qui ne figure pas en tant que tel dans le Coran, ni ne fait partie intégrante, comme certains le croient, de la sourate d’ouverture indispensable pour la prière appelée Al-Fatiha (le Prologue), ni prononcé systématiquement à haute voix par l’imam.
Contrairement aux chiites qui en refusent l’énonciation considérée comme une innovation, les quatre écoles juridiques sunnites recommandent aux fidèles son invocation après la récitation du dernier verset de la sourate Al-Fatiha, que ce soit pendant l’office religieux ou en dehors de la prière.
Le sens généralement donné par les linguistes et théologiens est: «Que Dieu agrée!»; quand certains n’en font pas un des noms de Dieu, suivant en cela les relations de l’érudit mecquois Mujahid ibn Jabr.
Alors que l’étymologie sémitique du terme semble indiscutablement acquise, quelques auteurs n’hésitent pas à le rattacher à l’univers de l’égyptien ancien, allant jusqu’à l’associer au nom de la célèbre divinité de Thèbes, Âmoun.
Pour rappel, celle-ci est commune aux panthéons égyptien, éthiopien et libyen où son culte serait antérieur, comme le soulignent les travaux de Gabriel Camps, avec un sanctuaire originel dans l’oasis égyptienne de Siwa (au parler toujours berbérophone) avant de passer vers l’autre rive de la Méditerranée, en Crète et en Grèce, par l’intermédiaire des Grecs de Cyrénaïque.
Expliquant l’étymologie de son nom par «voilé», le théologien suisse Jean Pierre Trottet rappelle dans ce cadre: «Manéthon rapporte que son nom veut dire obscurité ou mystère, et Plutarque que les Égyptiens le considéraient comme «l’Être caché»».
Ainsi donc, pour Mohamed Alaa-Eddin Mansour, ancien directeur du Département d’études orientales de l’Université du Caire, le mot Amen viendrait d’Amoun et se serait déplacé vers l’Est, influençant les langues sémitiques et les religions dominantes tel le christianisme qui l’aurait transporté en Europe.
Ce à quoi, répondent les détracteurs de cette théorie, qu’il s’agit tout au plus d’une coïncidence entre homonymes, voire que c’est, à l’inverse, le nom Amoun qui serait dérivé de Amen, reprochant à l’explication précédente d’être véhiculée par des mouvances idéologiques, notamment afrocentristes, en l’absence de toute assise scientifique.
Sans rentrer dans ce type de polémiques et pour rester juste dans le registre linguistique, la racine ‘mn dont dérive le terme est bien ancrée dans les langues sémitiques, qu’il s’agisse de l’hébreu, de l’arabe, du syriaque ou de l’ancêtre araméen.
Elle porte en elle des notions de fiabilité, de fidélité et de confiance.
En arabe, à titre d’exemple, la racine ‘mn est considérée comme étant «l’une des plus fréquentes du lexique coranique».
D’elle découle: al-îmâne, la foi, ou plus exactement l’engagement dans l’alliance.
C’est la caractéristique du mou’min, adjectif présent en de très nombreuses occurrences, traduit généralement par Croyant et que d’aucuns, à l’instar de Maurice Gloton, rendent exactement par la formule «celui qui actualise le dépôt confié», contrairement au kâfir qui le rejette.
D’ailleurs, al-Mou’min fait partie des 99 attributs de Dieu confirmant cet univers de sens et la réciprocité de l’alliance.
Dans ce même ordre, le radical ‘mn donne la Amâna ou la sauvegarde du dépôt, qu’il soit d’ordre matériel, intellectuel ou moral.
Ce n’est pas pour rien que le Prophète est surnommé par les Mecquois, bien avant son apostolat, al-Amîne (l’honnête, le fidèle et loyal).
Chargé de bien d’autres qualités vertueuses, le vocable devient paix (Amn) et sécurité (Amâne).
Bien loin de se contenter de clore les prières, devenant synonyme dans le langage courant de point final, il ne fait qu’enclencher un mouvement aussi puissant qu’intime.