Vous avez été bercé au son plaintif des violons de la commémoration. Conduit à travers les musées de la mémoire. Saturé de récits de douleur, de cours d’histoire sur les horreurs, de documentaires en noir et blanc…
On vous a appris à identifier les totalitarismes, à repérer les postures va-t-en-guerre, les foules soumises, la lente contamination, à l’image des rhinocéros d’Eugène Ionesco.
On vous a promis que la paix était acquise, que jamais plus l’ombre du passé ne viendrait assombrir l’avenir. Bref: que tout cela ne se reproduirait pas.
Et pourtant. Le présent s’embrase. L’Histoire se rejoue, à tâtons…
Le Proche-Orient demeure le foyer incandescent de toutes les tensions, tandis que, depuis plus de vingt mois, Gaza, déchirée par les flammes et le sang, voit ses enfants succomber cruellement à la faim.
Dans toute cette région-carrefour des intérêts géopolitiques, économiques et religieux —où tout est imbriqué, de l’énergie à la sécurité en passant par l’idéologie—, les conflits se succèdent, se superposent, sans jamais se résoudre pleinement.
Comme si cela ne suffisait pas, la guerre entre Israël et l’Iran pourrait bien devenir le point de basculement vers une conflagration mondiale et un chaos sans précédent.
Depuis plusieurs jours, les faits s’accumulent et ne trompent pas: les échanges de missiles, naguère inimaginables à une telle échelle, déchirent désormais les cieux de Tel-Aviv comme de Téhéran.
Loin d’être nouveau, ce conflit puise ses racines dans des décennies de rivalités idéologiques, militaires et stratégiques. Jusqu’à présent, ce qui se jouait principalement dans l’ombre (sabotages, cyberattaques, assassinats ciblés, ainsi que des actions menées par des intermédiaires armés ou des groupes proxies…) bascule aujourd’hui vers une confrontation frontale et brutale, avec la menace réelle d’un effet domino.
Pour l’heure, l’Europe, affaiblie par la guerre en Ukraine, adopte une attitude de soutien à Israël, privilégiant diplomatie et retenue.
La Russie et la Chine, tout en entretenant des liens stratégiques étroits avec l’Iran, évitent une implication directe, préférant une posture de contenance et de médiation.
Quant aux pays arabes, bien qu’ils ne forment pas un bloc homogène, la plupart s’efforcent d’éviter une guerre régionale majeure, jonglant avec des impératifs sécuritaires, des intérêts stratégiques et des pressions internes dans un jeu d’équilibrisme délicat.
Dans ce type de crise, c’est l’Amérique qui donne le la.
«Dans ses prémices comme dans son déroulement, le courage ne se mesurera pas au fracas des armes ni dans la fureur des combats,mais dans la clarté de nos choix et dans la fidélité à nos convictions»
Depuis Washington, qui fixe le tempo diplomatique et militaire, les tensions s’exacerbent au rythme des échanges de menaces entre le président américain et le guide suprême iranien.
Cette semaine, Donald Trump —qui, lors d’une visite en Arabie saoudite il y a quelque temps, avait lancé un message clair contre les interventions militaires étrangères, salué par des ovations lorsqu’il affirmait que les “nation-builders” avaient souvent échoué et qu’il n’était pas partisan d’un engagement militaire lointain— a déclaré à la presse, à propos d’une éventuelle intervention en Iran: «Je vais peut-être le faire, peut-être pas.»
Nous en sommes là.
Le risque? Que cette guerre régionale dégénère en conflit mondial. Qu’un incident —une frappe mal ciblée, une erreur de calcul, une opération de trop— déclenche une réaction en chaîne aux conséquences incalculables. Dans cette dynamique d’escalade, chaque attaque appelle une riposte, chaque riposte alimente une spirale déjà enclenchée, qui pourrait, à tout moment, devenir incontrôlable.
Dire que nous risquons une troisième guerre mondiale peut sembler excessif et alarmiste à certains. Mais sait-on vraiment quand une guerre mondiale commence? Et si elle n’avait pas encore officiellement éclaté, ne serions-nous pas déjà en plein dedans?
L’Histoire montre qu’un événement en apparence isolé peut faire s’effondrer un château de cartes géopolitique, et qu’un simple déclencheur local suffit parfois à précipiter l’un des conflits les plus dévastateurs jamais survenus.
Souvenons-nous de 1914: à Sarajevo, un nationaliste serbe abat l’héritier du trône austro-hongrois, l’archiduc François-Ferdinand. Ce coup de feu déclenche une chaîne d’événements qui va embraser le monde. En quelques semaines, le conflit, d’abord local entre l’Autriche-Hongrie et la Serbie, s’étend à toute l’Europe, piégée par des nationalismes exacerbés, des rivalités impérialistes et des alliances rigides, scellant le destin tragique de millions de personnes.
Deux décennies plus tard, en 1939, c’est le test de trop. Le 1er septembre, l’Allemagne nazie envahit la Pologne. Ce qui aurait pu passer pour une simple expansion territoriale déclenche une réaction en chaîne parmi les grandes puissances, déjà fragilisées par le traité de Versailles et la montée des régimes totalitaires. En quelques jours, le conflit prend une dimension mondiale, impliquant presque tous les continents.
Aujourd’hui, tous les ingrédients sont réunis dans ce nouveau chapitre de tensions entre Israël et l’Iran: alliances militaires explosives, multiplication des conflits connexes, tensions affectant la sécurité énergétique mondiale, limites persistantes de l’ONU, risques nucléaires latents…
Et puis que signifie encore le terme guerre mondiale à l’ère des drones autonomes, de la guerre cybernétique, de l’IA militarisée, des manipulations algorithmiques?
Car il ne s’agira plus d’une guerre symétrique, mais d’une guerre hybride où les lignes de front sont floues et les responsabilités diluées.
Il n’y aura peut-être ni débarquement, ni tranchées, ni déclaration officielle de début des combats, ni ligne Maginot.
Mais il y aura: des cyberattaques massives, des villes privées d’électricité, des avions de ligne détournés, des marchés financiers effondrés, des millions de réfugiés, des enfants qui meurent… en haute définition.
Alors que certains pérorent depuis leurs plateaux ou leurs bureaux climatisés, comme s’il s’agissait d’un simple jeu télévisé, il reste peut-être un espoir de faire entendre la voix de la raison.
Si guerre mondiale il y a, elle n’aura ni héros ni victoires ni légendes, seulement des ruines, des blessures et une humanité à genoux.
Dans ses prémices comme dans son déroulement, le courage ne se mesurera pas au fracas des armes ni dans la fureur des combats, mais dans la clarté de nos choix et dans la fidélité à nos convictions.
Et un jour, nos petits-enfants nous demanderont: «Et toi, que faisais-tu pendant ce temps-là?».