«Un Chef de gouvernement ne devrait pas dire ça…»

Mustapha Sehimi.

Mustapha Sehimi.

ChroniqueActuel chef du gouvernement et ministre depuis 2007, Aziz Akhannouch est censé connaître parfaitement les textes fondamentaux du Royaume et ceux relevant du domaine réglementaire confié à l’exécutif. Alors, pourquoi cette mise en cause du Conseil économique, social et environnemental, un acte s’apparentant à une «dérive» lors de son intervention devant la Chambre des conseillers?

Le 16/05/2024 à 16h01

Il faut bien revenir sur la polémique ouverte par le Chef du gouvernement, jeudi 9 mai courant, au Parlement. Aziz Akhannouch devait répondre, lors d’une séance de débats à propos de la présentation de son bilan de mi-mandat, faite une quinzaine de jours auparavant devant les deux Chambres de cette même institution. Il a saisi cette occasion pour s’en prendre frontalement à un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE), publié le 7 mai sur la situation de l’emploi. Que dit cet avis? Que plus de 1,5 million de jeunes Marocains restaient sans emploi, relevant de cette catégorie particulière dite NEET, sans emploi, ni éducation, ni formation. Une étude qui n’a pas vraiment été du goût du chef de l’exécutif, tant s’en faut. Pêle-mêle, il a précisé qu’elle «n’apporte rien de nouveau», qu’il restait pratiquement suspicieux quant à la date de sa publication le jour de la présentation de l’action de son cabinet à mi-mandat, qu’il s’interrogeait de ce fait sur cette «coïncidence», ajoutant au passage qu’il accordait au CESE «le bénéfice du doute», usant ainsi d’un vocabulaire pénal…

Qu’en dire une semaine après? Avec un minimum de recul pour tenter d’appréhender les termes de référence de ce débat, ou plutôt de cette controverse diversement accueillie ici et là, tant par les secteurs économiques que politiques. Il vaut de rappeler, pour commencer, les missions du CESE. Créé par Dahir royal le 21 février 2011, ce conseil a été ensuite consacré dans le titre 11 de la nouvelle Constitution du 29 juillet de la même année (articles 151, 152 et 153). Il peut être consulté par le gouvernement, la Chambre des représentants et la Chambre des conseillers, et ce sur toutes «les questions générales à caractère économique, social ou environnemental». D’un autre côté, il a une attribution propre: celle de donner «son avis sur les orientations générales de l’économie nationale et du développement durable». Dans son discours d’installation du CESE, voici 13 ans, le Souverain avait d’ailleurs souligné la place et le rôle de cet organe: il n’est pas «une sorte de troisième Chambre», mais «un nouvel et large espace... qu’offre l’État des institutions en termes de structure et d’instances de dialogue constructif, d’expression responsable et de réactivité positive aux aspirations des diverses catégories sociales et des différentes générations».

Avec le recours à la procédure d’autosaisine, le CESE peut donc, de sa propre initiative, formuler des propositions et réaliser des études ou des recherches dans tous les domaines de la vie sociale, économique et culturelle. La consultation de ses travaux dans ce registre couvre des dizaines d’avis, couvrant un large spectre (transition énergétique, protection sociale, transformation digitale, écosystèmes forestiers, auto-entreprise, classe moyenne, MRE et Maroc, etc.). C’est dire qu’en étudiant la problématique de l’emploi, et en particulier la situation des jeunes, le CESE a travaillé conformément à sa mission.

Le Chef du gouvernement a visé les résultats chiffrés et statistiques de cette étude qu’il juge contestables, voire irrecevables. Maladresse? Plus sans doute: une mise en cause d’une institution constitutionnelle. Mais de quel droit s’en prendre à la légitimité du CESE? Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch a derrière lui une longue expérience à la tête du département de l’Agriculture, depuis octobre 2007 jusqu’à octobre 2021 et son investiture à cette date à la tête de l’exécutif actuel. À ce titre, il est censé s’être familiarisé avec les textes fondamentaux du Royaume et ceux relevant du domaine réglementaire confié à l’exécutif.

Alors, pourquoi cet acte s’apparentant à une «dérive» lors de son intervention devant la Chambre des conseillers? Une rémanence de son profil de grand champion économique national où il était le «Boss» directif ne supportant aucune discussion ni interpellation? Il y a sans doute cet état d’esprit persistant à prendre en considération. Mais aussi plus, référence étant faite à son action gouvernementale, marquée du sceau de la fébrilité et de la modestie des résultats. Il a annoncé la priorité donnée à l’emploi pour le second mi-mandat, sans préciser les voies et les moyens d’atteindre les objectifs fixés d’ici 2026.

Que conclure alors? L’inviter à relire de manière plus attentive la Constitution, mais aussi à prendre en compte les avis d’instances comme le CESE et d’autres (HCP, Bank Al-Maghrib, CMC…), sans oublier les rapports des organisations internationales (FMI, Banque mondiale, etc.). Les uns et les autres sont utiles pour aider à la prise de décision et à conforter une gouvernance publique plus opératoire et plus efficiente. Aziz Akhannouch peut-il s’amender? En tout état de cause, en sa qualité de Chef du gouvernement, «il n’aurait pas dû dire ça».

Par Mustapha Sehimi
Le 16/05/2024 à 16h01