Russie-Ukraine: le coup de maître de la diplomatie marocaine

Rachid Achachi.

ChroniqueLe Maroc n’a pas à choisir un camp contre l’autre, puisque ce n’est tout simplement pas notre guerre. Rabat ne défend ni l’Ukraine ni la Russie, elle défend la charte de l’ONU et le respect de l’intégrité territoriale, tout en appelant à des négociations et à une résolution pacifique de ce conflit.

Le 25/05/2023 à 10h58

Suite à la visite du ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kuleba, à Rabat dimanche dernier, certains analystes et journalistes ont conclu, un peu trop rapidement à mon goût, un changement de positionnement du Maroc quant à ce conflit. Certains ont parlé de la fin de la neutralité de Rabat sur ce dossier au profit de la position occidentale. D’autres sont même allés jusqu’à dire que le Maroc a fini par se plier aux pressions occidentales. Non, le Maroc ne se plie pas, mais se positionne selon ses intérêts nationaux et ceux de son peuple.

Car si l’on prend suffisamment de hauteur et de recul quant aux récents événements, il apparaît clairement que, non seulement le Maroc maintient sa cohérence sur ce dossier du point de vue autant doctrinal qu’opérationnel, mais il renforce davantage sa crédibilité en tant qu’acteur diplomatique majeur.

Premier élément à mettre en perspective avec la visite de Kuleba à Rabat, la réception le lendemain de l’ambassadeur du Maroc à Moscou Lotfi Bouchaara par le vice-ministre des Affaires étrangères de la Russie, Sergey Vershinin. Une rencontre qui s’est tenue à la demande de notre ambassadeur, ce qui évacue immédiatement toute hypothèse de tension.

Une manière pour la diplomatie marocaine de rassurer la Russie quant à ces intentions et à la portée qu’il faut donner à la visite de Kuleba à Rabat. Car le Maroc n’a pas à choisir un camp contre l’autre, puisque ce n’est tout simplement pas notre guerre. Rabat ne défend ni l’Ukraine ni la Russie, elle défend la charte de l’ONU et le respect de l’intégrité territoriale, tout en appelant à des négociations et à une résolution pacifique de ce conflit.

Mais la raison de cette rencontre à Moscou, qui semble clairement s’inscrire dans une démarche allant au-delà de la clarification des positions, vise avant tout un objectif plus subtil et plus tactique. Il s’agit pour le Maroc ni plus ni moins que de mettre en concurrence Moscou et Kiev sur le dossier du Sahara marocain.

Kiev a toutes les raisons de soutenir le Maroc dans sa défense de son intégrité territoriale. Car l’Ukraine est elle-même confrontée à une remise en cause de la sienne, et en plus, elle a toutes les raisons du monde de voir l’Algérie comme un pays effectivement, ou tout du moins, potentiellement hostile à sa cause, en raison des liens militaro-économiques étroits qui lient Alger à Moscou.

À terme, cette dynamique devrait aboutir tôt ou tard à une reconnaissance ukrainienne de la marocanité de notre Sahara.

De l’autre côté, Moscou n’est retenu sur ce dossier que par la manne financière des commandes militaires d’Alger, et par une certaine proximité héritée de la guerre froide. Car au fond, mis à part cet aspect, Moscou a une multitude de raisons de se positionner en faveur du Maroc. Premièrement, il en va de la cohérence de sa propre doctrine et de son narratif, notamment concernant l’annexion de la Crimée qu’elle considère comme un territoire historiquement russe, et comme le berceau de la chrétienté russe, puisque c’est à Kherson, en Crimée, que le Prince Vladimir Ier a été baptisé.

Cependant, le seul parallèle que l’on peut établir entre ces deux dossiers est d’ordre historique. Car effectivement, le Sahara est historiquement marocain, de même que la Crimée est historiquement russe. Mais la principale différence réside dans la démarche. Puisque là où le Maroc défend son intégrité territoriale dans le respect du droit international, la Russie a décidé de contourner les règles.

Ainsi, il ne s’agit pas de dire que les deux dossiers sont similaires, loin de là, mais il s’agit avant tout de mettre en avant que la diplomatie est aussi une affaire de perception et de narratif. Il en résulte que soutenir le Maroc sur le dossier de notre Sahara équivaut pour Moscou à renforcer son propre narratif concernant la Crimée. Un peu à l’image de la Serbie qui nous soutient, car elle-même est confrontée à une remise en cause de son intégrité territoriale par la perte du Kosovo qui, rappelons-le, n’est pas reconnu par le Maroc.

Enfin, dans ce nouvel ordre géopolitique en gestation, la Russie se doit d’agir activement pour éviter tout enclavement diplomatique sur le continent africain, dont le Maroc est une porte d’entrée et un acteur géo-économique majeur.

Ainsi, optimiser cette fenêtre d’opportunité géopolitique en mettant subtilement en concurrence Moscou et Kiev en notre faveur est un coup de maître diplomatique qu’il s’agit de saluer.

Cette thèse est d’autant plus renforcée que notre ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita a clairement affirmé que le Maroc entretient d’excellentes relations aussi bien avec l’Ukraine qu’avec la Russie.

Par conséquent, le Maroc, en plus d’affirmer à nouveau la cohérence et l’efficacité de sa doctrine et de sa démarche diplomatique, se rapproche jour après jour de la résolution définitive de ce dossier, au détriment de certains dont la doctrine diplomatique se résume à une tactique de sabotage systématique, vouée à terme à un irrémédiable échec.

Par Rachid Achachi
Le 25/05/2023 à 10h58