C’est une résolution qui sent le coup de force. Dès le titre: «Résolution sur la violation de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et l'utilisation de mineurs par les autorités marocaines dans la crise migratoire à Ceuta». C’est ainsi que les députés espagnols ont intitulé une résolution supposée européaniser une crise bilatérale. D’emblée, on peut s’étonner que le Parlement européen veuille se substituer aux organes onusiens, dont aucun ne s’est saisi de ce sujet. «Depuis quand l’UE se substitue aux Nations Unies et s’exprime en son nom. Le parlement européen voudrait donc annuler l’ONU et ses organes?», s’étonne légitimement un observateur de la manœuvre des Espagnols qui veulent impliquer les pays européens dans une crise qui ne les concerne pas.
Cette manœuvre espagnole a embarrassé nombre de groupes européens au Parlement. «Les Espagnols veulent prendre en otage les députés européens. Leur résolution, hostile au Maroc, a embarrassé les groupes des eurodéputés du centre et de la droite et divisé les souverainistes», confie, contacté par Le360, un eurodéputé sous couvert de l’anonymat.
D’ailleurs, en dépit de plusieurs amendements qui ont rendu moins sévère les premiers états de cette résolution, il y aura des votes contre et des abstentions. Signe que les eurodéputés ont été conscients de la manœuvre de diversion des Espagnols, consistant à détourner le regard des véritables raisons d’une crise migratoire pour se cramponner à un sujet fédérateur en Europe: la migration.
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La dénonciation la plus directe de la manœuvre espagnole a émané d’un eurodéputé tchèque, Tomáš Zdechovský, qui s’en est pris au gouvernement dirigé par Pedro Sanchez, en lui reprochant de «pousser agressivement pour l’adoption d'une résolution du PE contre le Maroc qui ne cherche qu’à cacher ses erreurs successives, engageant l’UE dans cette voie dangereuse».
Avant d’aller plus loin dans l’analyse du contenu de cette résolution, il convient de souligner que les résolutions du parlement européen n’ont pas une valeur juridique ou contraignante. Les instances exécutives de l’UE se sont d’ailleurs félicitées du partenariat avec le Maroc. Que ce soit par la voix d’Olivér Várhelyi, commissaire européen à l'élargissement et à la politique européenne de voisinage, ou de la porte-parole de l'Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité qui a souligné, le 8 juin, que «pendant des années, l'UE et le Maroc ont entretenu une excellente coopération en matière de migration, aboutissant à de très bons résultats», se disant convaincue que «cette collaboration fructueuse pourra être préservée».
L’un des objectifs de cette résolution est de banaliser l’occupation de Sebta par le parlement européen. En effet, la résolution considère que Sebta fait partie de l’Espagne, et par conséquent de l’Europe. Le texte rappelle que «lors de la réunion du Conseil européen les 24 et 25 mai 2021, les dirigeants de l'UE ont réaffirmé leur plein soutien à l'Espagne et souligné que les frontières espagnoles sont les frontières extérieures de l'UE ».
En acceptant ce texte, les eurodéputés acceptent donc que les frontières sud de l’Europe se situent au Maroc, sur le continent africain. Cette violation des règles de l’Histoire et de la géographie pourrait avoir des répercussions, dans l’avenir, auxquelles ne songe ni l’eurodéputé estonien, ni le Polonais qui ne s’imaginent, sans doute pas, qu’ils ont en train d’élargir l’UE au continent africain.
La résolution affirme que «la police marocaine a temporairement assoupli les contrôles aux frontières, ouvert les portes de clôture et n’a pris aucune mesure pour empêcher cette entrée illégale» de migrants. Elle précise qu’un mouvement humain d’une telle ampleur «peut difficilement être considéré comme spontané». De ce fait, elle acte le caractère délibéré de cette action de la part des autorités marocaines. Inutile de désigner que ce sont nos voisins du Nord qui ont sont les auteurs de ces assertions.
Une insertion grave et outrageuse dans cette résolution consiste à insinuer que les enfants qui ont envahi le passage de Sebta ont répondu à un appel faisant croire à tort que «des footballeurs vedettes jouaient un match à entrée gratuite dans la ville de Ceuta et qu’ils étaient en excursion scolaire». Cela ne fait pas sérieux!
Le texte loue par ailleurs «la réponse humanitaire des forces de sécurité et armées espagnoles, des ONG et des citoyens de Ceuta qui a empêché une véritable tragédie». Sans aucune mention aux soldats espagnols qui ont jeté des migrants à la mer comme en attestent de nombreuses photos et vidéos.
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Dans un autre article, la résolution fait le lien entre l’assaut de migrants et l’accueil par Madrid du chef du Polisario Brahim Ghali, en affirmant que la crise des migrants «a été déclenchée par le Maroc en raison d'une crise politique et diplomatique après que le chef du Front Polisario, Brahim Ghali, a été admis dans un hôpital espagnol pour des raisons humanitaires en raison de son état de santé causé par le virus COVID-19».
La résolution a ensuite consacré sept points dans lesquels elle exprime la position du parlement européen sur les différentes questions objet de ce texte.
Dans le premier point, elle «rejette l'utilisation par le Maroc du contrôle des frontières et de la migration, et des mineurs non accompagnés en particulier, comme pression politique contre un Etat membre de l'UE». Le mot «pression» est donc lâché. Dans les premières versions de la résolution, il était carrément question de «chantage».
Elle «déplore en particulier la participation d'enfants, de mineurs non accompagnés et de familles au franchissement massif de la frontière entre le Maroc et la ville espagnole de Ceuta».
Elle «regrette l'aggravation de la crise politique et diplomatique, qui ne doit remettre en cause ni les relations de voisinage stratégiques, multidimensionnelles et privilégiées entre le Royaume du Maroc et l'Union européenne et ses Etats membres, ni la coopération de longue date et de confiance dans les domaines de la lutte contre le terrorisme, le trafic d'êtres humains et de drogue, les politiques migratoires et commerciales.»
Elle «considère que les désaccords bilatéraux entre partenaires proches devraient être réglés par le biais du dialogue diplomatique et appelle à un apaisement des tensions récentes et à un retour à un partenariat UE-Maroc constructif et fiable».
La résolution «réitère son soutien à la poursuite de l'avancement de cette relation fondée sur la confiance et le respect mutuels et prie instamment le Maroc, à cet égard, de respecter son engagement de longue date en faveur d'une coopération renforcée en matière de gestion des frontières et de mobilité migratoire dans un esprit de coopération et de dialogue».
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Elle «se félicite de la mesure prise par les autorités marocaines le 1er juin 2021 pour faciliter le retour de tous les mineurs isolés identifiés qui se trouvent irrégulièrement sur le territoire de l'Union européenne.»
Elle «invite l'Espagne et le Maroc à coopérer étroitement pour permettre le rapatriement des enfants auprès de leurs familles, qui doit être guidé par l'intérêt supérieur de l'enfant et effectué dans le respect du droit national et international, en particulier la Convention des Nations unies relative aux droits de l'Enfant, dont le Maroc est signataire depuis 1990 et qu'il a ratifié à deux reprises (en juin et juillet 1993), ainsi que les accords pertinents entre l'UE et ses États membres et le Maroc».
Elle «souligne qu'une coopération étroite sur les défis migratoires est dans l'intérêt mutuel de l'UE et du Maroc et demande au Royaume du Maroc de respecter efficacement ses engagements».
S’il y a un point sur lequel insiste la résolution espagnole, c’est bien que Sebta se trouve en Europe. La résolution estime que «Ceuta est une frontière extérieure de l'UE dont la protection et la sécurité concernent l'ensemble de l'Union européenne».
Elle réitère à ce sujet «l'inviolabilité des frontières nationales des Etats membres de l'UE et le respect total et non négociable de l'intégrité territoriale des Etats membres de l'UE en tant que principe fondamental du droit international et principe de solidarité européenne», tout en rappelant que «l’atteinte à la souveraineté territoriale des Etats membres ne peut être tolérée».
La résolution saute ensuite du coq à l’âne pour évoquer la position européenne sur le Sahara marocain dans une tentative de se démarquer de la position américaine qui a reconnu la marocanité de ce territoire.
A ce sujet, elle «réitère la position consolidée de l'UE sur le Sahara occidental, qui repose sur le plein respect du droit international conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et au processus politique mené par les Nations unies pour parvenir à une solution négociée juste, durable, pacifique et mutuellement acceptable par les deux parties».
Il importe de noter que les eurodéputés espagnols mobilisent à tour de bras leurs collègues au Parlement européen pour un vote massif de cette résolution.
Les Espagnols espèrent à travers ce texte faire assumer au Maroc la responsabilité de cette crise bilatérale et acter l’hispanisation du préside occupé de Sebta.
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La fébrilité et la pression qui ont entouré l’adoption de ce texte comme une résolution d’urgence sous la houlette de l’Espagne a fait oublier aux députés européens que le statut avancé dont le Maroc dispose auprès de l’Union européenne prévoit des mécanismes de dialogue politique renforcé, sans oublier la commission mixte parlementaire Maroc-UE qui n’ont pas été activés en amont pour examiner la crise bilatérale avec l’Espagne et éviter une résolution d’une pareille hostilité contre un partenaire fidèle de l’Europe depuis déjà un demi-siècle.
Le Parlement européen n’a pas pris la peine d'initier un dialogue constructif sur les réelles causes de cette crise et s’est rangé aveuglément du côté de l'Espagne en faisant jouer la carte de la solidarité européenne.
Des eurodéputés ne sont pas dupes toutefois de la manœuvre espagnole, et en cas de non-vote massif, alors même que la solidarité y oblige, l’Espagne aura perdu la partie la plus facile contre le Maroc.