Quand, afin de ne pas gêner les Algériens, le Maroc ne voulut pas régler la question des frontières avec la France

Bernard Lugan.

Bernard Lugan.

ChroniqueLe général de Gaulle, qui avait décidé de donner son indépendance à l’Algérie, proposa au roi Mohammed V que le problème frontalier soit réglé par des discussions directes entre la France et le Maroc. Les discussions franco-marocaines n’aboutirent pas, car le souverain marocain, qui avait une claire vision de la solidarité maghrébine, ne voulut pas d’un arrangement qui se serait fait «sur le dos» des Algériens.

Le 28/03/2023 à 12h01

Dans mes précédentes chroniques, nous avons vu que le contentieux territorial entre le Maroc et l’Algérie naquit des amputations territoriales subies par le Maroc.

Le général de Gaulle, qui avait décidé de donner son indépendance à l’Algérie, était bien conscient que se posait un évident problème frontalier avec le Maroc. Et comme le général était un ami du roi Mohammed V, qu’il avait élevé dans l’ordre des Compagnons de la Libération, il proposa à ce dernier que cette question soit réglée par des discussions directes.

Le contentieux frontalier algéro-marocain fut alors étudié par une commission mixte d’experts. Le Maroc revendiquait une grande partie de l’Ouest algérien, «le Sahara oriental», qui de tout temps avait été marocain, notamment les régions des oasis du Touat, du Tidikelt, du Gourara, etc. Quant à la France, elle était disposée à satisfaire à certaines revendications marocaines, mais pas à toutes.

Les discussions franco-marocaines n’aboutirent pas, car le Souverain marocain, qui avait une claire vision de la solidarité maghrébine, ne voulut pas d’un arrangement qui se serait fait «sur le dos» des Algériens. Lors des pourparlers préalables, la position de Mohammed V exposée à la partie française fut donc très explicite:

«Toute négociation qui s’engagerait avec le gouvernement français actuellement en ce qui concerne les prétentions et les droits du Maroc sera considérée comme un coup de poignard dans le dos de nos amis algériens qui combattent, et je préfère attendre l’indépendance de l’Algérie pour poser à mes frères algériens le contentieux frontalier.»

Choisissant donc de traiter directement avec les futurs dirigeants algériens, le 6 juillet 1961, le Maroc signa avec le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) un accord stipulant que les problèmes frontaliers existant entre les deux pays seraient résolus par la négociation, et cela, dès que l’Algérie aurait acquis son indépendance. Cet accord signé par le GPRA était très clair:

«Le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne reconnaît pour sa part que le problème territorial posé par la délimitation imposée arbitrairement par la France entre les deux pays trouvera sa résolution dans les négociations entre le Gouvernement du Royaume du Maroc et le Gouvernement de l’Algérie indépendante.

À cette fin, les deux gouvernements décident la création d’une commission algéro-marocaine qui se réunira dans les meilleurs délais pour procéder à l’étude et à la solution de ce problème dans un esprit de fraternité et d’unité maghrébines». (Protocole d’accord entre le gouvernement de Sa Majesté le Roi du Maroc et le G.P.R.A. (6 juillet 1961) (Gouvernement provisoire de la République algérienne).

Or, à Alger, le 15 septembre 1963, Fehrat Abbas fut évincé du pouvoir, et son successeur, Ahmed Ben Bella, mis au pouvoir par l’armée des frontières du colonel Boumediene, ne s’estima pas lié par les engagements pris par le GPRA…

Le moins que l’on puisse en dire est que le Souverain marocain, qui avait fait un geste de bonne volonté et d’une rare élégance en direction de l’Algérie, ne fut pas remercié par Alger, qui se posa en héritière intégrale des frontières de l’Algérie française, dont toute la partie orientale avait été tracée à l’intérieur du territoire marocain.

Par Bernard Lugan
Le 28/03/2023 à 12h01