La présence de la notion de régionalisation comme forme d’organisation territoriale n’est pas récente dans la réflexion politique au Maroc, puisqu’elle date des années 60. Antérieure, contrairement à une idée répandue, à la proposition d’autonomie de nos provinces méridionales, elle a pris du temps pour mûrir, prendre ses quartiers et acquérir ses lettres de noblesse.
La régionalisation figure dans l’article premier de la Constitution de 2011 et la loi organique relative aux régions a été promulguée le 7 juillet 2015. Les conseils régionaux élus font désormais partie intégrante des institutions censées assurer la participation démocratique d’une population de mieux en mieux socialisée, car mieux informée et mieux éduquée. Ils répondent par-dessus tout au développement politique qu’a connu le Maroc, durant les deux dernières décennies, qui a fait éclore au sein des populations un vif souhait de prendre en charge leur propre sort.
Motivée à ses débuts par le souci de faire place aux diverses expressions culturelles, la régionalisation a, par la suite et au fil des années, du fait de l’urbanisation, du brassage des populations et de la mobilité démographique entre les régions, connu une reclassification de ses priorités en faveur d’une demande accrue de proximité administrative et une meilleure redistribution des ressources économiques comme remèdes à la centralisation des décisions, considérée comme cause des inégalités entre les territoires.
L’administration centrale n’a pas marqué beaucoup de réticences à intégrer ce nouveau mode de régulation politique qui l’obligeait à délaisser une partie de ses prérogatives en faveur des régions. Elle a même, à la limite, fait preuve de générosité. La loi organique n° 111-14 prévoit (art.81 à 86) la délégation de compétences essentielles dans la vie de la collectivité au Conseil de la Région sur le territoire relevant de sa compétence: développement économique, développement rural, énergie, eau, environnement, transport, tourisme, culture, formation professionnelle, formation continue et emploi… Le tout devant être synthétisé dans un document essentiel que tout nouveau Conseil de la Région se doit de commander à un bureau d’études dès la première année de son entrée en fonction : le Plan de développement régional (PDR). Il fait office de référentiel et de feuille de route pour les six années de mandat du Conseil, pouvant être mis à jour à mi-mandat.
Pouvons-nous hasarder quelques questionnements sur l’avancement de ce vaste et complexe chantier pour le développement de l’ensemble des territoires du Maroc?
L’évaluation faite sur l’état d’avancement de la régionalisation par le Chef du gouvernement devant la Chambre des Conseillers nous y encourage. Le Chef du Gouvernement s’est félicité, à juste titre, de l’avancement de l’arsenal juridique qui accompagne le chantier de la régionalisation et des efforts budgétaires déployés par les finances publiques en faveur des régions, qui ont même légèrement dépassé les objectifs. Il a aussi promis que l’exécutif gouvernemental ne comptera pas ses efforts pour aider les exécutifs régionaux à assurer une meilleure gestion pour atteindre de meilleurs résultats.
Son discours est crédible pour de multiples raisons. D’abord, tous les présidents de région étant issus de sa majorité, il a leur soutien pour appliquer sa politique et demeure en quelque sorte comptable et solidaire de leurs bilans.
Son statut assumé de maire d’une ville en sus de sa charge de Chef du gouvernement rassure quant à l’importance qu’il accorde à la valorisation des territoires, gisement de création d’emplois. Enfin, le Rassemblement national des indépendants (RNI), parti du Chef du Gouvernement, s’est déjà positionné lors des débats sur le Nouveau Modèle de Développement comme porteur d’un vaste programme de développement des territoires qu’il a entamé en l’intégrant à la Charte de l’investissement, en changeant la tutelle des Conseils régionaux d’investissement (CRI) et en proposant une nouvelle approche de la coordination interministérielle régionale, fonction jusqu’à présent exclusivement dévolue aux walis.
C’est probablement l’existence de ce programme et d’une majorité forte au niveau des régions qui a fini par convaincre l’administration des territoires (le ministère de l’Intérieur) de passer la main dans la supervision de certains dossiers économiques territoriaux (CRI, coordination interministérielle), elle qui a été toujours très jalouse de ses prérogatives. Est-ce une bonne chose?
Du point de vue de la responsabilisation des institutions élues, la réponse est oui. Cela peut être même considéré comme une avancée démocratique importante dans la gestion locale. En ce qui concerne l’amélioration de la gouvernance et surtout des résultats, il faut du temps pour émettre un jugement. Car il ne faut pas oublier que les cadres du ministère de l’Intérieur sont «surdiplômés» et «surexpérimentés», surtout si on les compare avec les élus régionaux, et croire qu’on peut se passer de leurs expertises est un leurre. D’ailleurs, dans tous les pays, même les plus avancés démocratiquement, l’administration territoriale participe à l’élaboration des décisions à des niveaux variables certes, mais elle demeure présente.
Allons-nous maintenant, avec la nouvelle gouvernance, assister au début d’une réelle application des Plans de développement régional -la plupart ont un contenu riche-, couplé à une action volontariste d’appui des CRI (à l’effectif renforcé) à la création de TPE/PME? Est-ce le début d’une véritable politique d’industrialisation et de valorisation des territoires?
Le saut qualitatif en matière de gouvernance régionale, dont les contours semblent se dessiner, ne peut être qu’encouragé. Il faut espérer que l’on va s’éloigner des budgets régionaux destinés uniquement aux routes, aux centres de santé et aux écoles, pour se rapprocher de la mise en application des PDR. Tout en demeurant vigilant sur la conduite des projets et les résultats réalisés, et avec l’espoir que l’on assistera dans un avenir proche à une émulation entre les régions en termes de croissance, d’attractivité, de création d’emplois et d’activités socioculturelles.
C’est de la sorte que l’on crédibilisera encore plus le processus démocratique pour l’ensemble de la population et que nous avancerons dans notre développement politique.