Beaucoup a été dit et écrit sur l’influence que le climat pouvait avoir sur les évènements historiques: peste noire, famines, fronde.
Le 14 juillet 1789 fut le jour où le prix du pain était le plus élevé à Paris. Plus tôt, l’hiver 1709 fut l’hiver le plus froid du début du 18ème siècle et la monarchie française faillit toucher le fond au moment de la guerre de succession d’Espagne.
Plus récemment, au 20ème siècle, les armées d’Hitler, après celles de Napoléon, ont connu les froids terribles de Stalingrad. Le débarquement anglo-américain eut lieu le 6 juin, alors que la tempête était forte sur les côtes de la Manche: les Allemands en concluaient que le débarquement allié serait donc repoussé.
À l’incertitude de la date, du climat, s’ajoutait l’incertitude du lieu, puisque le débarquement était attendu plutôt dans le Pas-de-Calais qu’en Normandie.
Au-delà du climat, le choix ou le hasard (?) des dates est aussi une curiosité historique et est parfois chargé de symboles. Essayons ici d’en citer quelques-unes et d’expliquer leur intérêt.
La Première Guerre mondiale, comme d’ailleurs la Seconde, est déclarée en plein été, le 1er août pour la déclaration de guerre faite par l’Allemagne à la France, le 1er septembre pour le début de la Seconde Guerre mondiale.
L’été 1914 s’annonçait radieux, mais le 28 juin, personne n’imaginait que l’assassinat d’un archiduc peu connu, tant l’Empereur François-Joseph semblait éternel, aurait les conséquences que l’on sait. Mais les historiens ont souligné que le président de la République, Raymond Poincaré et son président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, René Viviani, embarquent le 16 juillet à Dunkerque pour un voyage officiel en Russie, mais aussi en Suède, au Danemark et en Norvège, voyage censé durer jusqu’au 29 juillet.
Et évidemment, ce n’est pas un hasard, mais un choix délibéré si la Cour de Vienne envoie l’ultimatum fatidique à la Serbie le 23 juillet, exactement quand Poincaré et Viviani embarquent pour leur voyage de retour en France.
À une époque où les communications étaient difficiles, les transmissions étant chiffrées au départ, déchiffrées à l’arrivée, à une époque où les téléphones portables n’existaient évidemment pas, Vienne savait que Poincaré et son ministre des Affaires étrangères (également président du Conseil, donc les deux plus hautes autorités de l’État) se trouvaient bloqués sur le bateau, sans moyen rapide de communiquer avec, à Paris, le Quai d’Orsay, et à Saint-Pétersbourg, la cour de Nicolas II, que les deux dirigeants venaient de quitter.
Les visioconférences du Conseil des ministres n’existaient pas. La date n’était donc pas choisie au hasard, puisque Poincaré et Viviani n’atteindront Dunkerque que le 29 juillet. Puis, retour à Paris en train. Les mobilisations en Russie puis en Allemagne et en France suivront. La guerre sera déclarée très vite, mais elle a été envisagée et préparée sur un bateau, dans des conditions pour le moins peu optimales. Dans ce cas, c’est la volonté de prendre l’adversaire de court qui prime pour l’Autriche-Hongrie.
Plus près de nous, plusieurs dates nous interpellent.
On sait que Hitler a choisi délibérément d’envahir la Rhénanie le 7 mars 1936, invasion déterminante pour la suite des coups de force hitlériens puisque le chancelier allemand a reconnu que la Reichswehr aurait très certainement reculé en cas de réaction militaire française. Mais la France se trouvait en période électorale, les élections législatives qui allaient amener le Front populaire au pouvoir, étant prévues le 26 avril, et malgré les déclarations tonitruantes du président du Conseil, Albert Sarraut («Nous ne laisserons pas Strasbourg à la portée des canons allemands»), aucune réaction énergique, ni française ni des Alliés n’eut lieu.
On ne menace pas l’opinion publique d’une intervention militaire et donc d’une guerre possible quelques jours avant une élection qu’on espère gagner! Là aussi, comme en 1914, l’effet de surprise joua à plein. La prise de gage de la Rhénanie était le premier acte des crises (Anschluss, Munich, Bohême Moravie, guerre d’Espagne, etc.) qui allaient suivre.
En 1956, c’est au moment de l’élection américaine, mais aussi de la crise hongroise que Français, Britanniques et Israéliens décident, le 29 octobre, d’intervenir militairement en réaction à la nationalisation du canal de Suez par Nasser. Pour le coup, la date est mal choisie par les trois alliés, car l’URSS doit faire face, depuis la fin octobre à la rébellion hongroise: pour faire diversion, et pour que l’OTAN n’intervienne pas à son tour à Budapest, Moscou menace alors la France, le Royaume-Uni et Israël d’une riposte nucléaire.
Et, par ailleurs, aux États-Unis, Eisenhower se prépare à une réélection triomphale en novembre de la même année, quelques jours plus tard. Aux États-Unis en 1956 comme en France en 1936, on ne déclare pas la guerre avant une élection!
Il ne reste plus à Israël, au Royaume-Uni et à la France qu’à s’incliner face au double diktat soviétique et américain, première étape de la déstalinisation, puis de la connivence américano-soviétique. Dans le cas d’octobre 1956, les dates, mal choisies par les trois alliés contre l’Égypte, sont synonymes de fiasco.
C’est– date importante pour le Maroc– fin 1975, alors que le Général Franco se meurt et que sa succession au profit du Roi Juan Carlos est ouverte, que le Roi Hassan II organise la Marche Verte pour récupérer le Sahara occidental. La date n’est évidemment pas due au hasard puisque l’Espagne avait d’autres préoccupations que de défendre cette colonie: la transition démocratique en Espagne était prioritaire et l’emportait largement sur l’avenir du Sahara occidental.
«Le choix de la date revêt donc une importance stratégique: il s’agit avant tout de créer l’effet de surprise, de frapper l’adversaire à un moment où il s’y attend le moins, et, au-delà de l’effet, de mettre en scène la charge symbolique attachée à cette date.»
— Xavier Driencourt
En 2024, c’est au moment de la fête du Trône à la fin de juillet que le président Macron choisit de reconnaître la marocanité du Sahara occidental. La coïncidence des dates et la force de l’annonce n’échappèrent pas à Alger.
C’est le 27 décembre 1979 que l’URSS décida d’envoyer ses troupes et d’envahir l’Afghanistan, date bien choisie puisque exactement entre Noël et le Jour de l’An: la surprise fut totale et surtout les «chancelleries» étaient vides: personne dans les bureaux à Washington, Paris, Bonn ou Londres. La date idéale! La trêve des confiseurs ne laissait que des agents de permanence dans les palais présidentiels, à une époque où, là encore, les téléphones portables n’existaient pas.
Plus tôt dans la décennie, c’est un 15 août, en 1972, que Nixon suspendit la convertibilité du dollar en or. Effet de surprise garanti au milieu de l’été!
Plus tard, c’est le 24 décembre que les terroristes algériens décident de détourner l’avion d’Air France reliant Alger à Paris et dans lequel aurait dû se trouver l’ambassadeur de France. La veille de Noël, là aussi, les bureaux du Quai d’Orsay, de Matignon, de l’Élysée sont vides[1]. Les terroristes algériens connaissaient les habitudes françaises pour frapper un grand coup.
Le choix des dates peut avoir, en plus de la surprise, une valeur symbolique: le début de la guerre d’Algérie fut déclenché par une série d’attentats préparés, le 1er novembre 1954, jour de la Toussaint (fête des morts).
Ce que l’on sait moins c’est que l’attentat de Toulouse en 2012 fait par le jeune Mohamed Merah, eut lieu le 19 Mars 2012, soit exactement le jour du 50ème anniversaire des Accords d’Évian.
L’attentat de Toulouse eut donc lieu un 19 mars, celui contre Charlie Hebdo, un 7 janvier, jour marquant le début de la bataille d’Alger en 1957. À l’état d’urgence de la guerre d’Algérie, répondait ainsi l’état d’urgence de 2015 décrété par le gouvernement Valls. Là, c’est autant l’effet de surprise que le symbole qui étaient recherchés.
Un an plus tard, l’attentat de Nice survenait lui aussi un 14 juillet, jour de fête nationale en France.
Dans ces événements, le choix des dates, là encore, n’est jamais anodin: il revêt, au contraire, une forte portée symbolique.
Effet de surprise combiné à la date symbolique, c’est également le cas de la guerre du Kippour, déclenchée par les pays arabes le jour de la fête du Yom Kippour, mais également en plein Ramadan. Donc, pendant les fêtes religieuses, Noël, le 1er novembre, le 15 août, Yom Kippour ou l’Aïd, politiques comme diplomates ou militaires sont normalement en famille et, là encore, les chancelleries sont vides.
Dans cette guerre du Kippour sont réunis les deux effets: surprise et symbole.
Les Nord-Vietnamiens ont bien compris l’importance du choix de la date: l’offensive du Têt intervint le 30 janvier 1968, soit la veille du Nouvel An lunaire, le Têt.
À l’automne 1967, le général Westmorland avait annoncé que le Nord-Vietnam était incapable de lancer une nouvelle offensive. Depuis le début de la guerre, traditionnellement, les fêtes religieuses et nationales, comme la célébration du Nouvel An, étaient marquées par une pause dans les combats. Et même si les Américains avaient relevé des mouvements de troupes inhabituels, ils ne pouvaient pas imaginer que l’offensive de 80.000 hommes interviendrait pendant les célébrations du Têt. L’effet de surprise fut donc total.
Que conclure de tout cela?
On pourrait multiplier les exemples de «coïncidence» de dates ou de choix de dates judicieusement désignées pour déclencher une crise, un conflit, ou une offensive.
Le choix de la date revêt donc une importance stratégique: il s’agit avant tout de créer l’effet de surprise, de frapper l’adversaire à un moment où il s’y attend le moins, et, au-delà de l’effet, de mettre en scène la charge symbolique attachée à cette date.
Il n’est plus nécessaire aujourd’hui de préciser ce que signifient les chiffres 9 11: chacun sait que le 11 septembre, 9. 11, est devenu le symbole entre tous de LA date qui fait désormais référence. Point n’est besoin de préciser qu’il s’agissait de la destruction des tours jumelles de New York.
Les crises, les guerres, les révolutions ne connaissent pas de trêve: à certains moments de l’année, quel que soit le pays ou la religion, les palais et centres du pouvoir sont vides ou bien dégarnis. Même si internet et les téléphones portables suppléent ces vides, il n’en demeure pas moins qu’il est souvent difficile de réunir les experts, rassembler les décideurs et finalement réagir. L’attaquant aura pris l’avantage.
[1] L’auteur de cet article en sait quelque chose: il était «de permanence» au cabinet d’Alain Juppé, Ministre des Affaires étrangères. Édouard Balladur, Premier ministre de cohabitation, était en vacances à Chamonix et François Mitterrand à Assouan en Égypte…







