En Algérie, la réélection un tantinet surréaliste du président Abdelmadjid Tebboune, avec un score babylonien de 94,65% des voix, laisse songeur. En effet, selon les chiffres officiels, il y eut 48% de votants sur un total de 24 millions d’inscrits, ce qui donne donc plus ou moins 11 millions de suffrages exprimés. Or, comme le président sortant a obtenu quasiment 95% des suffrages, il a été étonnamment annoncé qu’environ 5 millions d’Algériens ont voté pour sa réélection. De plus, comme ses deux concurrents totalisent à eux deux environ 5% des votes, cela signifie donc que plus de 5 millions de suffrages se sont volatilisés, ou que 5 millions d’électeurs auraient voté blanc…
En réalité, les dociles agents du pouvoir, qui ont en charge la gestion des élections, se sont pris les pieds dans le tapis de leurs manipulations. En effet, n’osant pas donner le vrai chiffre de la participation, qui tourne autour des 20%, paniqués face au colossal camouflet que le pays réel algérien venait d’administrer à la gérontocratie dirigeante, ils ont oublié la mathématique…
Nous sommes donc en pleine farce, d’autant plus que dans certaines wilayas, le pourcentage officiel des votants n’atteint pas les 5%, et qu’en Kabylie, la participation fut quasiment nulle… Le Hirak a certes été écrasé et même maté par le «Système», mais ces élections démontrent que la population n’est pas dupe et que le feu couve, prêt à se rallumer à la moindre faiblesse d’un pouvoir désormais condamné à la fuite en avant.
Après la déposition-démission d’Abdelaziz Bouteflika, le massif Hirak se transforma en lutte totale et frontale contre le «Système». Ayant réussi à faire élire à la présidence Abdelmadjid Tebboune, l’un des siens, ce même «Système» bénéficia ensuite d’une «divine surprise» quand la pandémie du Covid-19 mit un terme aux manifestations populaires.
Aujourd’hui, le «Système» est nu, avec une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête qui est la crise économique, perspective toujours rendue possible par la dépendance totale aux hydrocarbures (pétrole et gaz) et à la variabilité de leurs cours. Ces derniers fournissent en effet, bon an mal an, entre 95 et 98% des exportations, et environ 75% des recettes budgétaires d’une Algérie qui, n’ayant pas retenu la leçon des crises des années 1986, 1990 et 1994, n’a pas significativement diversifié son économie.
Bloquée sur la monoproduction des hydrocarbures, dont les volumes exportables devraient baisser en raison de l’augmentation de la consommation intérieure et de l’épuisement progressif des gisements, et cela en dépit des annonces de nouvelles découvertes, l’Algérie va devoir satisfaire les besoins élémentaires d’une population en forte augmentation. Au mois de janvier 2024, le pays comptait ainsi 46,7 millions d’habitants (contre 12 millions en 1962), avec un taux d’accroissement annuel de 2,15%, et un excédent de près de 900.000 habitants chaque année.
L’insoluble problème qui se pose au «Système» est que, ne produisant pas de quoi habiller, soigner, équiper et nourrir ses enfants, l’Algérie doit donc tout acheter à l’étranger. En 2024, le quart des recettes tirées des hydrocarbures servit ainsi à l’importation de produits alimentaires de base… dont l’Algérie était exportatrice avant 1962.
Dans les années qui viennent, l’Algérie, qui se trouvera au pied du mur, va donc devoir procéder à des choix économiquement vitaux, mais politiquement explosifs. Et comme l’heure de vérité ne pourra pas être éternellement repoussée, la dernière farce électorale pourrait bien ressembler à un des derniers clous plantés dans le cercueil du «Système».