Kamel Daoud et Christophe Gleizes: les autres otages de l’Algérie

Xavier Driencourt.

ChroniqueKamel Daoud est, en ce sens, le deuxième otage algérien. Pire, le 12 juillet, sa mère décède en Algérie et le pouvoir militaire l’empêche de venir l’enterrer à cause du mandat d’arrêt émis contre lui. Qui aurait pensé à cette absence totale d’humanité de la part d’un régime qui se flatte d’incarner, face à la «France coloniale», les vraies valeurs, notamment religieuses?

Le 05/08/2025 à 15h59

Évidemment, la presse, l’opinion, les commentateurs et les hommes politiques ont beaucoup parlé de Boualem Sansal. À l’heure où j’écris ces lignes, l’écrivain franco-algérien est toujours en prison, il n’a été ni libéré lors de son procès en appel le 24 juin, ni gracié le 5 juillet par le chef de l’État algérien qui aurait pourtant pu se hisser à la hauteur de l’enjeu et clore cette crise avec dignité.

Je l’ai souvent dit, ce pouvoir est méchant et revanchard, il sait comment utiliser ces armes.

Mais il y a également deux autres otages, le journaliste français Christophe Gleizes et l’autre, tout aussi célèbre que Boualem Sansal.

Je veux parler de Kamel Daoud, l’autre grand écrivain algérien, titulaire du Prix Goncourt en octobre 2024 pour son roman Houris et lui aussi harcelé par le même pouvoir militaire.

Je ne connais pas le journaliste Christophe Gleizes, qui travaille à So Foot et à Society; il enquêtait sur le célèbre club algérien, la JSK (Jeunesse Sportive de Kabylie).

Qui dit JSK, dit évidemment Kabylie. Qui dit Kabylie, dit évidemment, pour le pouvoir algérien, MAK, ce mouvement indépendantiste classé comme terroriste à Alger.

Christophe Gleizes travaillait sur la JSK et donc évidemment, il est lié au MAK: l’équation est vite faite. Interdit, depuis un an, de quitter le territoire algérien, aujourd’hui condamné à 7 ans de prison pour, tenez-vous bien, «apologie du terrorisme».

Cette condamnation, après celle de Boualem Sansal, montre bien le dérèglement du système politique algérien.

J’ai eu la chance, au cours de mes deux mandats d’ambassadeur à Alger, pendant presque huit ans, de connaître Boualem Sansal et Kamel Daoud. Je voyais ce dernier à Oran ou à Alger lorsqu’il y séjournait. Il m’avait invité à prendre le thé chez lui. Il racontait alors, combien ses voisins (walis, militaires de haut rang, hauts fonctionnaires et caciques du FLN) venaient en cachette lui demander une dédicace pour son livre Meursault contre-enquête.

«Kamel Daoud avait sans doute pensé que la chute de Bouteflika allait ouvrir une nouvelle voie pour l’Algérie et que le Hirak permettait de nouvelles perspectives.»

—  Xavier Driencourt

Kamel Daoud avait sans doute pensé que la chute de Bouteflika allait ouvrir une nouvelle voie pour l’Algérie et que le Hirak permettait de nouvelles perspectives. Il avait alors interviewé le nouveau président Tebboune pour l’hebdomadaire français «Le Point». Mais très vite, il s’est rendu compte que «l’Algérie nouvelle» issue du «Hirak béni» selon la rhétorique officielle ne serait qu’une illusion supplémentaire pour les Algériens.

Il a alors quitté sa belle ville d’Oran, ses amis pour s’installer en France. Je l’ai revu régulièrement à Paris.

Mais même là, à Paris, le pouvoir algérien le poursuit, comme Boualem Sansal, de sa vindicte.

Le prix Goncourt qu’il a reçu, immense récompense littéraire, est, aux yeux d’Alger, une provocation et une machination montée par l’Élysée et par le Maroc (l’écrivain Tahar Ben Jelloun étant membre de l’Académie).

Voilà que Kamel Daoud, qui aurait dû être célébré en héros dans son pays, pour être le premier écrivain algérien titulaire du Goncourt, est harcelé par le régime d’Alger: témoignages fabriqués contre son roman, accusations de plagia, menaces, procès à Paris, et cerise sur le gâteau, émission d’un mandat d’arrêt international qui l’oblige à annuler des conférences à l’étranger.

Kamel Daoud est, en ce sens, le deuxième otage algérien. Pire, le 12 juillet, sa mère décède en Algérie et le pouvoir militaire l’empêche de venir l’enterrer à cause du mandat d’arrêt émis contre lui.

Qui aurait pensé à cette absence totale d’humanité de la part d’un régime qui se flatte d’incarner, face à la «France coloniale», les vraies valeurs, notamment religieuses?

Son crime, aux yeux d’Alger, est d’avoir écrit un livre concernant la décennie noire algérienne et illustrant les atrocités commises par les terroristes islamistes comme par l’armée. Cette épouvantable page de l’histoire est donc bannie, interdite, censurée. Pourtant, elle a existé.

Voilà donc un écrivain, illustre et désormais célèbre, jeté en pâture à l’opinion publique et menacé. Tel est le prix à payer en Algérie pour être reconnu…

J’ai le souvenir d’un déjeuner en décembre 2017 à Alger avec le président de la République, les ministres français Jean-Yves le Drian et Gérald Darmanin, ainsi que d’autres intellectuels algériens.

Au cours du repas –qui avait duré longtemps au point que le protocole algérien s’impatientait– Boualem Sansal avait dit au président Macron: «Monsieur le Président, aidez-nous! Nous écrivons en français, nous défendons ici en Algérie, la langue et la culture françaises, mais nous sommes ici critiqués et menacés. Aidez-nous!»

Quant à Kamel Daoud, il avait dit au président Macron ce qui résume bien notre politique: «Vos compromis, Monsieur le Président, sont nos catastrophes». On ne peut être plus clair.

Oui, maintenant que Boualem Sansal, Christophe Gleizes et Kamel Daoud sont, chacun à sa manière, devenus les otages de l’Algérie, c’est à la France de les aider.

Par Xavier Driencourt
Le 05/08/2025 à 15h59