Créée par la France, l’Algérie est l’héritière de la colonisation française

Bernard Lugan.

Bernard Lugan.

ChroniqueFerhat Abbas (1899-1985), l’ancien chef du Gouvernement provisoire de la Révolution algérienne (GPRA), écrivit lui-même en 1936: «Si j’avais découvert la nation algérienne, je serais nationaliste. Je ne mourrai pas pour la patrie algérienne parce que cette patrie n’existe pas. Je ne l’ai pas découverte. J’ai interrogé l’histoire, j’ai interrogé les morts et les vivants, j’ai visité les cimetières: personne ne m’en a parlé…»

Le 19/03/2024 à 11h59

Si les dirigeants algériens avaient un minimum de mémoire, au lieu de ressasser leur détestation de la France, ils devraient tout au contraire crier «Vive l’Algérie française!». Leur pays doit en effet tout à la France. Jusqu’à son nom, qui lui fut donné par elle en 1838… Au moment de l’indépendance de juillet 1962, tout ce qui existait en Algérie y avait été construit par la France à partir du néant, dans un pays qui n’avait jamais existé, puisqu’il était directement passé de la colonisation turque à la colonisation française.

Ce fut en effet la France qui créa l’Algérie en lui donnant ses frontières. Des frontières qui, à l’Ouest, furent tracées en amputant territorialement le Maroc. Le Tidikelt, le Gourara, le Touat, Tindouf, Colomb Béchar, etc. furent ainsi arrachés au Maroc pour être généreusement offerts à une Algérie française dont l’Algérie algérienne est aujourd’hui l’héritière directe. Une héritière qui, sans le moindre remords, a conservé le legs exorbitant fait par la France aux dépens du Maroc. Une Algérie que la France ouvrit vers le sud en lui offrant en plus un Sahara qu’elle n’avait, et par définition, jamais possédé, puisqu’elle n’avait jamais existé.

Ce fut toujours la France qui créa l’Algérie en rassemblant ses régions et ses populations qui n’avaient jamais été unies. En 1831, dans une lettre à sa famille, le futur général Louis de Lamoricière (1806-1865) parlait des attaches spirituelles, donc politiques, des habitants de la toute récente conquête française dans les termes suivants:

«À Oran, ils font (la prière) pour le roi du Maroc; à Constantine, pour le sultan de Constantinople; à Alger, afin de ne pas se compromettre, pour celui qui marche dans la bonne voie».

Pour sa part, et à la même époque, le lieutenant de Lamoricière confirmait que l’Oranie reconnaissait l’autorité spirituelle du sultan du Maroc. Ce dernier avait d’ailleurs un représentant, un khalifa, dans la région, une fonction qui a été occupée par le propre père d’Abd el-Kader. Quant au Constantinois, il était pour sa part tourné vers Istanbul. Résultat, dans la Régence turque, la prière n’était donc nulle part dite au nom d’un chef «algérien». Rien de plus normal, car, à l’époque, et comme l’a dit Pierre Vermeren, la nation algérienne était alors un «non concept».

Ferhat Abbas (1899-1985), l’ancien chef du Gouvernement provisoire de la Révolution algérienne (GPRA), écrivit lui-même en 1936:

«Si j’avais découvert la nation algérienne, je serais nationaliste (…) Je ne mourrai pas pour la patrie algérienne, parce que cette patrie n’existe pas. Je ne l’ai pas découverte. J’ai interrogé l’histoire, j’ai interrogé les morts et les vivants, j’ai visité les cimetières: personne ne m’en a parlé…»

Voilà ce qui fit dire au général de Gaulle dans une de ces phrases dont il avait le secret que:

«(…) Depuis que le monde est monde, il n’y a jamais eu d’unité, ni, à plus forte raison, de souveraineté algérienne. Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes syriens, Arabes de Cordoue, Turcs, Français, ont tour à tour pénétré le pays sans qu’il y ait eu à aucun moment, sous aucune forme, un État algérien» (Charles de Gaulle, 16 septembre 1959, déclaration à la RTF).

En 1962, la France légua à sa «chère Algérie», selon la formule de Daniel Lefeuvre, un héritage composé de 54.000 kilomètres de routes et pistes (80.000 avec les pistes sahariennes), de 31 routes nationales, dont près de 9.000 kilomètres étaient goudronnés, de 4.300 km de voies ferrées, de 4 ports équipés aux normes internationales, de 23 ports aménagés (dont 10 accessibles aux grands cargos et 5 qui pouvaient être desservis par des paquebots), de 34 phares maritimes, d’une douzaine d’aérodromes principaux, de centaines d’ouvrages d’art (ponts, tunnels, viaducs, barrages, etc.), de milliers de bâtiments administratifs, de casernes, de bâtiments officiels, de 31 centrales hydroélectriques ou thermiques, d’une centaine d’industries importantes dans les secteurs de la construction, de la métallurgie, de la cimenterie, etc., de milliers d’écoles, d’instituts de formations, de lycées et d’universités, avec 800.000 enfants scolarisés dans 17.000 classes (soit autant d’instituteurs, dont deux tiers de Français), d’un hôpital universitaire de 2.000 lits à Alger, de trois grands hôpitaux de chefs-lieux à Alger, Oran et Constantine, de 14 hôpitaux spécialisés et de 112 hôpitaux polyvalents, soit le chiffre exceptionnel d’un lit pour 300 habitants.

Sans parler du pétrole découvert et mis en exploitation par des ingénieurs français. Ni même d’une agriculture florissante laissée en jachère après l’indépendance, à telle enseigne qu’aujourd’hui, l’Algérie doit importer jusqu’à du concentré de tomate, des pois chiches et même de la semoule pour le couscous… Quant à sa seule exportation agricole, celle de ses succulentes dattes, elle ne sert même pas à compenser ses achats de yaourts fabriqués à l’étranger.

Tout ce qui existait en Algérie en 1962 avait été payé par les impôts des Français. En 1959, l’Algérie engloutissait ainsi 20% du budget de l’État français, soit davantage que les budgets additionnés de l’Éducation nationale, des Travaux publics, des Transports, de la Reconstruction et du Logement, de l’Industrie et du Commerce!

Et pourtant, au mois de janvier 2021, dans l’ignorance bétonnée par l’idéologie, complaisamment relayé par les médias officiels, un journaliste algérien déclencha une polémique en exigeant de la France un dédommagement pour le «pillage» du fer «algérien» qui, selon lui, aurait servi à fabriquer la Tour Eiffel!!!

Or, le minerai de fer ayant servi à édifier l’emblématique monument fut extrait de la mine de Lurdres en Lorraine, département de Meurthe-et-Moselle. Quant aux pièces métalliques composant la Tour, elles sont, comme ses visiteurs peuvent le constater, estampillées à la marque des aciéries de Pompey, également en Lorraine, là où elles furent fondues.

Or, il faut bien voir que la prétention aussi exorbitante que surréaliste de ce journaliste stipendié par le «Système» algérien n’était pas le coup de folie d’un illuminé. Elle illustrait tout au contraire le complexe quasi existentiel que nourrissent nombre d’intellectuels algériens. Un complexe qui se retrouve dans tous les domaines, et d’abord dans celui de l’histoire.

Ainsi en est-il avec l’historienne Fatima-Zohra Bouzina Oufriha. Dans une déclaration a Algeria-Watch, faite le 22 mai 2016, cette dernière affirmait:

«C’est le rôle du Maghreb central que je cherche à réapprécier par rapport à une lecture, partiale et biaisée, une interprétation de l’histoire qui, pour moi, est coloniale, dans la mesure où systématiquement, le rôle du Maghreb central qui deviendra l’Algérie est escamoté au profit du Maghreb extrême qui deviendra le Maroc (…) Derrière cette lecture biaisée et partiale, il y a la thèse coloniale, qui pose que l’Algérie et le Maghreb central n’ont jamais existé, n’ont jamais rien fait de bon dans l’histoire. C’est toujours le Maroc que l’on met en exergue.»

En écrivant que «l’histoire est l’enfer et le paradis des Algériens», Mohamed Harbi a bien résumé le complexe existentiel algérien.

Par Bernard Lugan
Le 19/03/2024 à 11h59