Lyautey et le Maroc: ne pas «algérianiser» le Maroc

Bernard Lugan.

Bernard Lugan.

ChroniqueLes liens unissant Hubert Lyautey et le Maroc méritent d’être rappelés aux jeunes générations marocaines, car Lyautey, qui ne fut pas un colonisateur «classique», fut également un défenseur de l’identité du Maroc et de la marocanité du Sahara.

Le 13/02/2024 à 11h03

Mercredi 24 janvier 2024, le journal L’Opinion a rendu un bel hommage au Maréchal Lyautey sous le titre «Quand Lyautey fustigeait les députés français anti-marocains». Cet article m’a donné l’idée de revenir sur les liens unissant Hubert Lyautey et le Maroc. Des liens qui méritent d’être rappelés aux jeunes générations marocaines, car Lyautey, qui ne fut pas un colonisateur classique, fut également un défenseur de l’identité du Maroc et de la marocanité du Sahara.

Preuves historiques à l’appui, il ne cessa en effet jamais de dire que le Sahara est une partie du territoire marocain. Pour lui, les prétentions espagnoles sur cette partie du Maroc étaient inacceptables, car elles aboutissaient à une amputation, alors que son but en qualité de Résident général était tout au contraire la réunification de l’Empire chérifien. C’est avec cette même logique qu’il protesta quand les confins algéro-marocains furent érigés en région militaire autonome, mais rattachée à l’Algérie.

Lyautey mena une lutte constante contre une gauche coloniale voulant faire appliquer au Maroc le système administratif de l’Algérie. En refusant d’«algérianiser» le Maroc, Lyautey faisait clairement allusion à ce qui s’était passé en Algérie quand, après 1870, le régime civil républicain succéda au régime militaire. Son jacobinisme, le mépris qu’il afficha pour les populations, son laïcisme qui fit passer ses représentants pour des mécréants aux yeux des musulmans exercèrent des ravages et provoquèrent un traumatisme insurmontable.

Dénonçant ce mode de colonisation, Lyautey fit donc tout ce qui était en son pouvoir pour éviter l’«algérianisation» du Maroc. Un autre Résident général que lui n’y serait pas parvenu. Et s’il tint constamment tête à l’administration parisienne, c’est parce qu’il avait bien compris l’originalité marocaine.

Ce fut en 1907 que Lyautey découvrit le Maroc et, stupéfait, il constata que:

«Alors que nous nous sommes trouvés en Algérie en face d’une véritable poussière, d’un état de choses inorganique, où le seul pouvoir constitué était celui du Dey turc effondré dès notre venue, au Maroc, au contraire, nous nous sommes trouvés en face d’un empire historique et indépendant, jaloux à l’extrême de son indépendance, rebelle à toute servitude, avec sa hiérarchie de fonctionnaires, hommes de culture qui ont traité d’égal à égal avec les hommes d’État européens, qui ont le sens des choses politiques: rien de similaire n’existe en Algérie».

«Premier serviteur du Sultan» comme il aimait à le dire, dans le contexte universaliste et assimilateur dans lequel baignait alors la colonisation française, Lyautey ne fut pas un colonisateur au sens «classique» du terme. Son action procéda en effet d’une grande constante qu’il eut toujours à l’esprit: le Protectorat français sur le Maroc n’était qu’un état transitoire, provisoire même, devant inéluctablement aboutir à l’indépendance du pays. Tout le contraire de la politique appliquée en Algérie française.

Lyautey s’attacha à ce que le Sultan conserve tous les attributs de son prestige et que son pouvoir spirituel demeure intact. En 1917, dans son adresse aux notables marocains il déclara ainsi:

«La source de toute autorité est chez le Sultan. Son autorité religieuse et son pouvoir politique s’étendent sur toutes les villes et les tribus de l’Empire dont les pachas et les chefs sont ici».

Ce que Lyautey refusait, c’était donc l’introduction au Maroc des principes sur lesquels reposait la colonisation de l’Algérie. Voulant éviter l’accaparement foncier, il fit interdire l’aliénation des terres collectives par le dahir du 7 juillet 1914.

Le respect qu’eut Lyautey pour le patrimoine marocain est immense. Son souci de sauvegarde de l’architecture et des objets d’art marocains fut exemplaire. Il veilla à leur mise en valeur et à ce que, lors des grands travaux, les villes soient respectées comme l’attestent les deux documents suivants, respectivement datés de 1913 et de 1920:

«La beauté et l’intérêt historique de l’architecture marocaine résidant non seulement dans ses monuments importants, mais encore et surtout dans l’ensemble des constructions qui forment les centres et dans leur perspective générale, il est de la plus haute importance que toute modification faite dans l’intérieur ou à l’extérieur des enceintes de villes soit judicieusement étudiée. En conséquence, tout percement de muraille, transformation de portes de villes, agrandissement (…) ne doit être entrepris qu’après avoir été soumis au préalable à l’approbation du Service des Beaux-arts de la Résidence générale» (Résidence générale, 23 avril 1913).

«Je viens de voir, entre Volubilis et Moulay Idriss, une installation en tôle ondulée et tuile qui n’existait pas à ma dernière visite, qu’on m’a dit être une huilerie et qui déshonore un des plus beaux paysages du Maroc. Comment une telle installation a-t-elle pu être tolérée et autorisée? Comment le Service des Beaux-arts, chargé de la protection des sites du Maroc, ne m’en a-t-il pas prévenu en temps utile pour empêcher ce vandalisme? (…) Prière de retrouver l’origine, de me rendre compte et de voir sous quelle forme, dans quelles conditions et dans quel délai cette tare déplorable pourrait disparaître» (Note du 30 janvier 1920).

Par Bernard Lugan
Le 13/02/2024 à 11h03