Bahija Simou: «Le Maroc jouissait d’un pouvoir direct et d’une influence militaire, administrative et juridique sur l’ensemble de ses régions sahariennes»

Bahija Simou, directrice des Archives royales.

Dans cet entretien exclusif avec Le360, la directrice des Archives royales, Bahija Simou, apporte de nouvelles preuves étayant, de manière on ne peut plus évidente, la marocanité du Sahara occidental et du Sahara oriental.

Le 30/03/2024 à 16h35

La souveraineté marocaine, sous toutes ses formes et déclinaisons temporelles et spirituelles, s’exerçait sur l’ensemble des régions sahariennes du Royaume, avant qu’une partie ne soient spoliées au début du 20ème siècle au profit de l’Algérie française, notamment celles du Sahara oriental. Bahija Simou, docteure d’État en histoire contemporaine, spécialiste d’histoire militaire et par-dessus tout directrice des Archives royales, explique cela par le menu détail en exposant les diverses méthodes via lesquelles le Maroc établissait sa toute-puissance et son autorité en tant qu’État-nation souverain sur son Sahara, coupant ainsi court aux contrevérités alimentées par les escrocs de l’Histoire.

Le360: Dans la vie réelle et sur les réseaux sociaux, les Marocains applaudissent votre courage et vos déclarations appuyant la marocanité du Sahara oriental. Quelle est votre réaction à cela?

Bahija Simou: Permettez-moi de préciser de prime abord qu’il ne s’agit ni de courage ni d’une prise de position polémique, mais plutôt d’une étude scientifique étayée sur la consultation de divers documents qui m’ont paru, en tant qu’historienne, établir d’une manière irréfutable la marocanité du Sahara occidental et du Sahara oriental à travers l’histoire. Ces documents m’ont paru éclairants pour mettre en lumière la manière dont le colonisateur a amputé le Maroc d’un territoire qui lui revenait historiquement de plein droit. Il m’a semblé important de jeter un éclairage sur ce passé pour une meilleure compréhension de la situation présente et pour rétablir les vérités historiques à l’heure où les fausses informations sont courantes.

«J’ai constaté une prise de conscience collective et un intérêt sans précédent de nos concitoyens envers la question de l’intégrité territoriale.»

—  Bahija Simou, directrice des Archives royales

Quant à votre question concernant la réaction de la société civile, en effet, mes déclarations ont suscité un intérêt particulier dans la vie réelle et sur les réseaux sociaux, et ont fait couler beaucoup d’encre. Mais croyez-en que les félicitations et les encouragements que j’ai reçus avec beaucoup de fierté et non sans intérêt, je ne les ai pas considérés comme allant vers mon humble personne. Bien au contraire, j’ai pris ceci comme une adhésion massive à la vérité historique fondée sur la fiabilité du document. J’ai constaté une prise de conscience collective et un intérêt sans précédent de nos concitoyens envers la question de l’intégrité territoriale.

Comment la souveraineté du Royaume s’exerçait-elle sur l’ensemble de ses contrées sahariennes?

Le fonds documentaire important sur le Sahara met en évidence la manière dont la souveraineté marocaine s’est exercée sur les régions sahariennes de diverses méthodes qu’il convient de décrire comme suit:

-La continuité de la Béïâ des tribus sahariennes aux Sultans et Rois alaouites jusqu’à ce jour, à travers des textes de Béïâ ou certaines correspondances relatives à ce sujet, reconnaissant le devoir d’obéissance et de loyauté permanent;

-Les accords et les traités;

-Les Dahirs de respect et de déférence décrétés par les Sultans alaouites à l’égard de plusieurs notables et marabouts issus des tribus, à travers des Dahirs de respect et de déférence envers les tribus comme celle des Tadjakant (Tindouf actuellement) et les tribus de Mejjat Maizate, ou d’autres Dahirs qui ont honoré les chorfas, les morabitines et les saints de diverses tribus sahariennes de façon individuelle et collective, comme le morabit Ibrahim ben Ali ben Mohammed At-Tekni;

-L’exercice du pouvoir direct dans les régions sahraouies. Il est aisé de constater à la lecture des archives royales qu’il existe une répartition générale des caïds et gouverneurs sur les plus grandes tribus sahraouies organisées sous forme de clans et de fédérations. Nous mettons en exergue ici comme exemple la fédération des tribus de Tekna avec toutes ses composantes, où nous trouvons le caïd Dahman ben Birouk, nommé par Dahir chérifien remontant à l’année 1306 H./1889 G., et le caïd Mohamed El Amine ben Ali Tekni, nommé en l’an 1316 H./1899 G., ainsi que le caïd Slimane Laroussi, nommé en l’an 1324 H./1907 G. sur la tribu Karah (كراح) issue de la confédération des Tekna. Il en est de même en ce qui concerne la tribu des Menasra d’Izerkiine (إزركيين), intégrée au sein de la confédération des Tekna, à la tête de laquelle a été nommé le caïd Ibrahim ben Mbark Chtouki conformément au Dahir chérifien de l’année 1317/1900. Tout comme la désignation par Dahir chérifien du 14 rabiî al-thani 1327 H./ 1910 G. du caïd Ibrahim ibn Khalil ben Birouk sur, entre autres, les tribus Aït Moussa Ou Ali Yakout, Ouled Driss, Rguibat et Ouled Tidrarine;

«La région saharienne ne différait pas dans sa pratique des formes de gouvernance et de traitement des questions des autres régions marocaines.»

—  Bahija Simou, directrice des Archives royales

-L’intégration des éléments sahraouis dans l’armée et dans la cavalerie royale et leur participation à l’organisation des expéditions militaires;

-L’établissement d’un dispositif particulier de communication entre le pouvoir central et les régions du Sahara par le biais d’un système de portage et de distribution de courrier;

-La collecte des impôts et des taxes;

-L’organisation des expéditions dans les régions sahraouies;

-Le mouvement urbanistique alaouite dans le Sahara marocain, à travers la construction des kasbahs, des borjs (citadelles militaires) et la restauration des ports comme celui d’Assaka...;

-L’intervention des Sultans et des Rois pour résoudre les conflits et les différends entre les tribus;

-La communication intellectuelle, culturelle et spirituelle entre les différentes régions du Maroc et le Sahara marocain (vous trouverez des zaouïas des Rguibat dans les régions les plus reculées du Sahara, dans les citadelles de la région du Rif et dans le Moyen Atlas avec les Beni Ayad);

-L’intertribalité;

-La concurrence coloniale sur les régions sahariennes marocaines, les visées des colons et l’affluence des commerçants, ainsi que la résistance des Marocains contre l’expansion coloniale;

-Et enfin la surveillance des côtes et l’établissement des vigies dans les ports. Les collections de la Direction des Archives royales regorgent de lettres sultaniennes ayant pour objet la gestion des affaires courantes sahraouies et plus particulièrement la protection des côtes comprises entre l’Oued Noun et Dakhla. Il convient de rappeler dans ce sens les tentatives de quelques marchands aventuriers de s’établir dans certains ports sahraouis tels que Oued Noun, Boujdour et le Cap Blanc.

Ceci confirme une fois de plus que la région saharienne ne différait pas dans sa pratique des formes de gouvernance et de traitement des questions des autres régions marocaines. Le Maroc jouissait de son influence militaire, administrative et juridique dans la région saharienne. Ces pouvoirs constituent des composantes fondamentales et des éléments de signification forte dans l’évaluation de la nature de la souveraineté alaouite marocaine dans les régions sahariennes, que les Sultans ont défendues et que les Rois alaouites défendront forts de leur légitimité.

«La jeunesse marocaine a tout lieu d’être fière de l’histoire de son pays, qui a participé à l’écriture de l’histoire du monde arabo-musulman, voire du monde dans sa totalité.»

—  Bahija Simou, directrice des Archives royales

Quelle lecture faites-vous de l’intérêt de plus en plus croissant des jeunes générations pour les questions des frontières et de la marocanité du Sahara? Et que faudrait-il entreprendre pour renforcer cet intérêt?

En effet, ma dernière conférence sur le Sahara a reçu un écho très favorable auprès d’un grand public. Et comme je vous l’ai déjà dit, j’ai constaté une prise de conscience et un intérêt particulier des jeunes pour la question de l’intégrité territoriale. Ce fait m’a honorée et rassurée. Je suis honorée car j’ai pu contribuer à répondre à leur demande, eux qui sont assoiffés de connaissance historique et curieux d’en savoir plus sur l’histoire de leur pays, et y trouvent des repères identitaires. Je suis rassurée, car j’ai constaté que nos jeunes s’intéressent aux grandes questions qui préoccupent l’État marocain en demeurant attachés à leur patrie et à leur Roi.

La jeunesse marocaine a tout lieu d’être fière de l’histoire de son pays, qui a participé à l’écriture de l’histoire du monde arabo-musulman, voire du monde dans sa totalité, et ce, grâce à l’action éclairée de ses Sultans, Rois et autres personnages historiques. C’est cette histoire imprégnée de valeurs d’ouverture, de paix, de tolérance qui fait le Maroc d’aujourd’hui et fonde des repères stables et durables pour notre jeunesse. À partir de ces repères, nos jeunes peuvent aller plus loin sans peur de s’égarer dans des voies étrangères à nos valeurs et principes. Je crois que la connaissance de notre histoire est un besoin à combler, et mon souhait le plus ardent est de voir les efforts déployés actuellement pour la réforme de notre enseignement ne pas négliger cet aspect.

Je pense également à la manière de faire aimer l’histoire à une jeunesse fascinée par le monde virtuel. C’est tout l’enjeu de la réforme de l’enseignement. Nos responsables doivent forcément œuvrer dans ce sens. Les choses vont vite, très vite même. Il faut certes sensibiliser les jeunes à l’importance de leur histoire, car celle-ci est un héritage commun, qui porte leurs racines et les valeurs de leurs ancêtres.

Aussi, le monde virtuel doit être perçu et utilisé comme une précieuse opportunité pour véhiculer les messages, les idées et les connaissances que nous pensons -dans un consensus national- être le meilleur pour les générations à venir. À cet effet, il est nécessaire de trouver des formes de communication adaptées pour la transmission de cet héritage de génération en génération, ainsi que de nouvelles méthodes d’enseignement, c’est-à-dire des moyens attractifs, tels que des supports multimédias, la diffusion de films et documentaires à caractère historique, l’organisation de festivals autour de personnalités historiques, avec des expositions, des pièces de théâtre… L’exemple d’autres pays qui vulgarisent l’histoire à travers la bande dessinée est toujours bon à prendre.

En 2023, vous avez déclaré que votre direction travaille sur le lancement d’un portail électronique qui permettra aux citoyens et aux chercheurs d’avoir accès à des documents historiques. Dites-nous un peu plus sur l’objectif de ce projet et sur la date de sa mise en marche.

Conformément aux hautes instructions de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, et dans le cadre de la démocratisation du savoir, la Direction des Archives royales a très bien avancé dans le processus de numérisation de ses fonds et a entamé le projet d’un portail. Parmi les objectifs de ce projet, la DAR souhaite s’inscrire dans le processus de modernisation en figurant sur la Toile mondiale, et ce, afin de partager la connaissance et de la rapprocher du citoyen et lui faciliter l’accès à l’information. Ce portail électronique s’adressera aux chercheurs, aux diplomates, aux spécialistes du patrimoine, aux journalistes, mais également aux jeunes et à tous ceux qui s’intéressent généralement à notre pays. Il visera notamment à faire connaître à travers les archives existantes l’ancienneté de l’État marocain, ses fondements, sa pérennité, son ouverture sur l’autre. Nous chercherons à travers ce site web à expliquer et à vulgariser aux citoyens les événements commémorés annuellement et à faire connaître leur histoire et leur symbolique. Nous ne manquerons pas de mettre en relief la question de l’intégrité territoriale. Et notre souhait est de lancer ce portail incessamment.

Par Saad Bouzrou
Le 30/03/2024 à 16h35