Pierre-Yves Rougeyron: comment les élites algériennes envient les réussites du Maroc

Pierre-Yves Rougeyron, juriste et politologue français, fondateur du Cercle Aristote et directeur de la revue Perspectives libres.

Le 19/03/2024 à 13h08

VidéoDans cet entretien avec Le360, Pierre-Yves Rougeyron, juriste, politologue et spécialiste français en intelligence économique dissèque les raisons connues et enfouies de l’hostilité paroxystique du régime algérien envers le Maroc.

Conférencier souverainiste à la pointe du combat d’idées, Pierre-Yves Rougeyron est aussi et surtout le fondateur du Cercle Aristote et le directeur de la revue Perspectives libres. Dans cette entrevue exclusive, il sonde l’origine de l’hostilité algérienne à l’égard du Maroc, et revient également sur les relations, parfois tumultueuses, entre la France et le Royaume qu’il voit comme une incontestable puissance atlantique et africaine.

Le360 : Dans un passé récent, vous aviez déclaré que pour cacher sa débâcle économique, l’Algérie voudrait déclencher un conflit armé avec le Maroc. Au vu des derniers développements, pensez-vous que la grille de lecture économique suffirait, à elle seule, à expliquer les déclarations belliqueuses à peine voilées de l’Algérie à l’endroit du Maroc ?

Pierre-Yves Rougeyron : Sans vouloir m’ingérer dans une relation bilatérale de deux États que je respecte, je dirais que, malheureusement, on a déjà vu un tel scénario. Rappelez-vous que, chaque fois que l’Algérie indépendante avait un souci, elle se retournait contre le voisin marocain et, généralement, cela s’était mal passé militairement pour elle. Je pense, et cela n’engage évidemment pas le peuple algérien, que les Algériens doivent aussi voir que l’Algérie qu’ils essayent de vendre existe avant tout dans une partie de fantasme.

Le peuple marocain et même les autorités marocaines ne sont pas les ennemis de l’Algérie. Je n’ai jamais vu un Marocain conscient des intérêts du Maroc vouloir du mal à Algérie. Le problème, c’est qu’une partie des élites algériennes a, en plus du problème économique, deux pommes de discorde vis-à-vis du Maroc. Il y a premièrement une part de jalousie des réussites marocaines en termes de formation de son élite et de gestion de la question identitaire. Je pense que le Maroc vit beaucoup mieux le débat sur la berbérité que l’Algérie, qui a une sorte de politique anti-berbériste de vexation vis-à-vis de l’identité kabyle.

«Je pense qu’il y a un «être au monde» marocain qui gêne l’élite algérienne. Cela vient peut-être du fait que l’Algérie est une création assez récente, alors que le Maroc est l’un des plus vieux États du monde.»

—  Pierre-Yves Rougeyron, juriste et politologue français.

Je citerais aussi une réussite de la gestion de la question islamique, parce que l’Algérie a à ce niveau un vrai problème que l’armée feint d’avoir totalement aplani. Or, le Maroc est parvenu à dompter les frères musulmans et, qu’on l’accepte ou pas, a aplani une partie de l’islamisme régional. Il envoie des émissaires partout en formation religieuse pour combattre les sectes islamistes et utilise à plein sa façade atlantiste. Le grand Maroc va jusqu’à Toumbouctou en termes d’influence. Ce n’est pas rien. Je ne dis pas que l’influence algérienne est nulle sur le continent. Je dis simplement que beaucoup d’officiels algériens ont une sorte de fierté mal placée vis-à-vis du Maroc, à cause des réussites marocaines.

Il y a aussi un autre aspect. Le Maroc est un pays qui est arrivé à avoir une diplomatie très occidentaliste. Le Maroc est historiquement le premier allié non-occidental des États-Unis, sans pour autant se mettre à dos le Proche et le Moyen-Orient ni les puissances émergentes. L’Algérie, elle, a une diplomatie beaucoup plus clivante. Je pense qu’il y a un «être au monde» marocain qui gêne une partie de l’élite algérienne et qui vient peut-être du fait que l’Algérie est une création assez récente, alors que le Maroc est l’un des plus vieux États du monde. Je crois qu’une partie de l’élite algérienne ne supporte pas cette réalité. Quand Hugues Capet devient Roi de France, le Maroc a déjà 150 ans. Alors que, profondément, l’Algérie est née en 1962.

Le ministre des Affaires Étrangères français, Stéphane Séjourné, a récemment affirmé à Rabat que la France a toujours soutenu le Maroc dans la question du Sahara, mais qu’il était temps désormais d’«avancer». Comment interprétez-vous ce terme, et quel regard portez-vous sur l’état actuel des relations entre Rabat et Paris ?

Je trouve les relations entre Paris et Rabat intrinsèquement mauvaises et la responsabilité de cet état des choses est française. Le Maroc n’y est pour rien, ou pour pas grand-chose. Dans sa volonté d’un «en même temps» qui n’a pas de sens, Emmanuel Macron a voulu tendre la main à l’Algérie. Pour quoi faire? Une partie du peuple algérien n’y est pour rien, elle sait que la machine FLN est une machine à mentir. Mais une partie du FLN veut apprendre la haine de la France dès l’enfance et, malheureusement, nous avons des reliquats qui arrivent ici.

Je pense que nous avons commis une grossière erreur. Il ne fallait pas tendre la main à l’Algérie en isolant le Maroc sur la question du Sahara occidental où Rabat a raison. Le Sahara est marocain, point. Et faire croire à l’Algérie qu’elle a raison de faire ce qu’elle y fait n’est dans l’intérêt de personne, même pas celui des Algériens. L’Algérie est en train de brûler une énergie considérable à s’opposer au Maroc, énergie qui serait beaucoup mieux employée dans le développement d’un pays qui a tous les atouts pour devenir une puissance, mais qui ne l’est pas. Le «en même temps» macronien ne doit pas se faire au détriment de la relation franco-marocaine.

Nous avons trois intérêts vitaux franco-marocains. Nous devons faire en sorte que l’islam du nord de l’Afrique soit l’islam le plus doux possible, et je sais combien le Maroc s’emploie pour ne pas laisser les sectes sanguinaires mettre l’Afrique du Nord à feu et à sang. Deuxième intérêt: il faut que l’Algérie ne nous tombe pas dessus, car ce serait une catastrophe régionale. Dernier point, le Maroc est en première ligne de la grande transition démographique des peuples subsahéliens qui remontent vers le Nord.

Aujourd’hui, d’éminents historiens et spécialistes des relations internationales, comme Charles Saint Prot et Bernard Lugan, affirment que le Maroc est en droit de réclamer son Sahara oriental, rappelant que des régions comme Colomb Béchar, Tindouf, Touat, Tidikelt et Tamnrast étaient historiquement marocaines. Qu’en dites-vous ?

D’un point de vue culturel et historique, je n’ai évidemment face à de telles sommités, qui sont en plus deux amis personnels, aucune qualité pour renchérir. Je sais à quel point les autorités marocaines peuvent être sages. J’en appelle à la sagesse d’un homme que j’admire énormément, feu Hassan II. Le Maroc est l’un des rares pays à avoir la profondeur de pensée pour voir les intérêts de l’Afrique du Nord, et le seul pays qui reste solide sur toute la bordure de la Méditerranée.

«Le Maroc est un État qui se développe, qui réussit le tour de force d’allier tradition et modernité. Vous n’avez pas de temps à perdre à vous chicaner avec le FLN.»

—  Pierre-Yves Rougeyron, juriste et politologue français.

Je comprends l’ambition marocaine, mais je vous en conjure, et c’est en vieil allié que je vous parle, n’entrez pas dans une guerre des frontières. Je comprends que, vu comment l’Algérie vous a embêté avec le Polisario, vous vouliez rendre la pareille, parce que vous avez aussi une fierté en tant que peuple. Mais je vous en conjure, ne vous enferrez pas là-dedans. Le Maroc est un État qui se développe, qui réussit le tour de force d’allier tradition et modernité. Vous n’avez pas de temps à perdre à vous chicaner avec le FLN.

Lors d’une conférence en 2018, vous aviez affirmé que le Maroc va être une grande puissance de l’espace atlantique, aire naturelle de l’expansion marocaine. Une déclaration prémonitoire étant donné l’initiative atlantique récemment annoncée par le roi Mohammed VI. Quels sont les points forts du Maroc dans cette politique atlantique?

Sa pérennité et son histoire. Le Maroc s’est magnifiquement adapté là où toute l’Afrique du Nord a plié devant la présence turque. L’influence turque est allée jusqu’à l’Algérie, mais les janissaires ne sont jamais entrés au Maroc. Le Maroc avait compris qu’au lieu de se mesurer aux Turcs, pour qui l’Algérie était juste un tribut, il valait mieux prospérer là où ils ne sont pas.

Et c’est là que le Maroc s’affirme comme un pays atlantique, disposant de trois grandes forces pour aider cet espace. Premièrement, le Maroc peut aider à gérer les questions islamiques locales à travers sa diplomatie religieuse. Deuxièmement, de jeunes entrepreneurs marocains, qui sont extrêmement bien formés, ont réussi à tisser une toile d’influence d’entreprises marocaines qui descendent loin dans l’espace atlantique africain. Troisièmement, le Maroc a encore une diplomatie à l’ancienne. Vous comprenez l’espace africain, vous ne le regardez pas avec l’œil énamouré des droits de l’Homme et de la gay pride. Vous avez donc à la fois la compréhension du terrain, la complémentarité du terrain et les hommes pour arpenter le terrain.

Par Saad Bouzrou
Le 19/03/2024 à 13h08