Le bilan-fleuve de mi-mandat fait par le Chef du gouvernement, le 24 avril dernier, devant les deux Chambres du parlement -deux heures et demie, une soixantaine de pages- est sans doute un temps fort de la présente session de printemps de cette institution. D’un côté, l’on a relevé le satisfecit que le chef de l’exécutif s’est accordé ainsi qu’à son cabinet. Mais de l′autre, c’est plutôt la censure, en particulier celle des partis d’opposition, mais également d’acteurs associatifs.
Le débat porte sur des questions de fond. La première a trait à l’effectivité des dix engagements pris en octobre 2021 dans le programme gouvernemental d’investiture. La deuxième regarde les multiples aspects sociaux qui restent préoccupants: les 3,2 millions de Marocains basculant sous le seuil de la vulnérabilité ou de la pauvreté, le recul autour de 19% du taux d’activité des femmes, l′aggravation du chômage à un taux de 13,9% et des prévisions d’accentuation d’ici la fin 2024, etc. Enfin, la relance économique incertaine avec une médiocre croissance de 2,1% pour cette même année, alors que la loi de finances tablait sur 3,2%. Pour le second mi-mandat, jusqu’à 2026, qu’en sera-t-il? Pour le Chef du gouvernement, les perspectives sont prometteuses. Mais encore? La consolidation annoncée de l’État social commande des mesures et des réformes qui tardent et peinent quelque peu à prendre forme et contenu: fiscalité, codes (pénal, procédure pénale, travail), même si celui de la famille est le plus avancé, parce que c’est un «chantier de règne».
Des incertitudes pèsent par ailleurs sur la pérennisation du financement du système social avec la consolidation des régimes de l′AMO et des aides sociales directes, dont les budgets sont de 26 milliards de dirhams (MMDH) en 2025 et de 29 MMDH en 2026. Enfin, comment ne pas noter la nécessaire grande réforme des régimes des retraites? Ce dossier doit être remis à l’ordre du jour en septembre prochain, pour mettre fin à une situation qui n’est plus tenable, la charge annuelle étant de l’ordre de 20 MMDH pour les finances publiques.
Il vaut de noter qu’au-delà de ce discours résolument optimiste et ambitieux -après tout, le Chef du gouvernement est dans son rôle-, l′on peut y voir une autre préoccupation: celle d’une sorte d’«échauffement», pour reprendre le vocabulaire sportif, en vue des élections législatives intéressant la Chambre des représentants de 2026 (celles de la Chambre des conseillers ne devant avoir lieu qu’en 2027, le mandat de ses membres étant de six ans).
Ce qui frappe aujourd’hui, n’est-ce pas l’impréparation et les ordres de marche des partis à cet horizon-là? Les partis d’opposition escomptent une amélioration de leurs résultats à cette échéance. Sur quels thèmes? Le bilan de ce cabinet, jugé insuffisant? Leurs propositions alternatives? Quant aux trois composantes de la majorité actuelle, une approche différenciée semble s’imposer, compte tenu de la situation spécifique de chacune d’entre elles. Le PAM a tenu son 5ème congrès les 8 et 9 février dernier. Une «troïka» a succédé au secrétaire général Abdellatif Ouahbi, avec Fatima Ezzahra El Mansouri, coordinatrice, Mohamed Mehdi Bensaïd et Salaheddine Aboulghali. C’était là une traduction d’une situation de carence jugée pénalisante aujourd’hui et demain. Pour autant, cela permettra-t-il d’améliorer l’attractivité et la capacité de mobilisation du parti du Tracteur dans un schéma préélectoral d’ici 2026? Quant à la formation istiqlalienne, elle a fini par enjamber quelque deux ans de «stand by», marqués par la rivalité, et pratiquement le bras de fer, entre le groupe du maire de Laâyoune, Hamdi Ould Errachid, et celui de Nizar Baraka, secrétaire général depuis le 7 octobre 2017. Le 18ème congrès, tenu les 26 et 28 avril, a vu sa reconduction pour un nouveau mandat de quatre ans. Mais la finalisation d’un «deal» entre les deux clans reste encore laborieuse pour ce qui est de la désignation d’un inspecteur général, Numéro deux en fait, et des 34 membres du comité exécutif… En tout état de cause, ce parti se veut en ordre de marche pour 2026. Il espère à tout le moins consolider ses acquis parlementaires actuels, avec 81 députés.
La situation du RNI, présidé par Aziz Akhannouch depuis octobre 2016, relève d’une autre comptabilité. Il a été nommé Chef du gouvernement en octobre 2021, sa formation s’étant classée en tête aux au scrutin législatif du 8 septembre 2021, avec 102 députés, devant le PAM (87). Pourra-t-il préserver ce rang en 2026 et, partant, prétendre de nouveau à la direction du prochain cabinet? Aziz Akhannouch ne paraît-il pas s’y préparer de pied ferme? Sauf à préciser plusieurs points: pour cette mandature, il sera comptable d’un bilan, ce qui n’était pas le cas en 2021; la distinction à faire entre le RNI et ses résultats d’un côté, et le sort de son président, Aziz Akhannouch, au lendemain de l’agenda 2026; enfin, le leadership du parti de la Colombe. Il semble bien que l’on ait veillé à ce qu’aucune tête ne fasse de l’ombre à Aziz Akhannouch, telles celles de Chakib Benmoussa ou de Mohamed Benchaaboun… En se rasant tous les matins, le chef du cabinet actuel ne pense-t-il pas à 2026 et à son statut futur? Dans la pratique institutionnelle, aucun Chef de gouvernement n’a été reconduit au lendemain d’élections législatives…