À la veille de son déplacement en Algérie, Macron se retrouve chahuté par les relais médiatiques de la junte

De gauche à droite: Saïd Chengriha, chef d'état-major de l'armée algérienne, Emmanuel Macron, président français, et Abdelmadjid Tebboune, président algérien.

De gauche à droite: Saïd Chengriha, chef d'état-major de l'armée algérienne, Emmanuel Macron, président français, et Abdelmadjid Tebboune, président algérien. . Le360 (photomontage)

D’une seule voix, les médias algériens ont relayé un appel adressé par des «organisations» algériennes à Emmanuel Macron pour extrader les journalistes et militants opposés au régime. Le dossier de ces militants pacifiques, qualifiés par la junte de «terroristes», va lourdement peser sur le déplacement du président français prévu du 25 au 27 août.

Le 24/08/2022 à 06h05

Le président français Emmanuel Macron, qui doit se rendre en visite officielle, sur trois jours, en Algérie, à partir de jeudi prochain, 25 août 2022, vient de recevoir une demande indirecte, mais très attendue, de la part du régime algérien. Alger n'a pas hésité à utiliser ses relais médiatiques pour exiger de Paris de lui remettre, poings et pieds liés, les opposants algériens exilés en France, surtout ceux très actifs sur les réseaux sociaux, comme le journaliste Hichem Aboud, le blogueur Amir Boukhors, plus connu sous le nom d'Amir DZ, sans compter le journaliste Abdou Semmar. Et bien entendu, sans parler bien évidemment de la bête noire du régime algérien, le poète et musicien Ferhat Mehenni, chef de file des indépendantistes du MAK (le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie). 

Même l’agence de presse officielle algérienne (APS) a été sommée de publier dans l’après-midi du lundi 22 août une dépêche, sous le titre suivant: «Macron appelé à mettre un terme aux organisations présentes en France incitant au terrorisme».

Selon l’APS, un «groupe d’organisations et d’associations nationales» a tenu une réunion en lien avec la visite de Macron en Algérie, et a publié un communiqué à cet effet.

«Suite à notre réunion tenue le 22 août 2022 et à l’occasion de la prochaine visite du président français en Algérie, nous appelons le président de la [R]épublique française à mettre un terme aux associations intruses, activant sous le couvert de la démocratie, la défense des droits de l’homme et la liberté d’expression, en profitant de leur présence en France pour diffuser un discours de haine, de violence, et d’incitation au terrorisme parmi les Algériens et les institutions de l’Etat, dans l’objectif d’attenter à la stabilité et la sécurité de l’Algérie, ce qui conduira inéluctablement à une dégradation de la situation en Afrique du nord et dans le bassin méditerranéen», écrit ce présumé groupe d’associations algériennes locales, dans un communiqué stylistiquement approximatif, ne prenant vraiment pas de gants avec ce qu'il faut reconnaître des institutions de la République française.

Bien évidemment, le Maroc étant incontournable dans l'ensemble des pleurnicheries du régime algérien, ce même communiqué ajoute en substance: «nous demandons au président de la république française (sic, Ndlr) d'assumer ses responsabilités vis-à-vis de ces organisations suspectes soutenues par les milieux de l’argent sale, des organisations terroristes internationales et le voisin du mal "le Maroc"» (re-sic, Ndlr).

Mais le plus troublant dans ce communiqué, repris par l'ensemble des porte-voix médiatiques du régime algérien, c’est qu’aucun nom identifiant ce «groupe d’organisations et d’associations nationales» n’a pu être décliné. Pas plus que l’identité d’un quelconque militant, dirigeant ou personnalité algérienne affiliée à l’une de ces prétendues organisations. Mais à quelle obsession maladive répondrait bien ce qui ressemble fort à un usage de faux?

Selon toute apparence, cette sortie en meute des médias algériens paraît comme étant une réaction à une lettre ouverte, directement adressée à Emmanuel Macron, par des associations de défense des droits humains algériennes, établies à l’étranger, dont celles-ci: «Debout l'Algérie», «Action citoyenne pour l'Algérie», «Groupe Algérie droit devant», «le Collectif des familles de disparus en Algérie», ou encore «la Coordination des Algériens du monde»…

Dans cette lettre ouverte, ces associations exhortent Emmanuel Macron à «ne pas occulter la dégradation des droits humains en Algérie» et à «ne pas cautionner cette dérive despotique du régime algérien».

Dans cette missive, qui a été reprise dimanche dernier par l’AFP, ses signataires ajoutent que «les quelques acquis obtenus au prix de décennies de lutte et d'engagement citoyen (...) sur la liberté d'expression, d'organisation, de manifestation, de presse et de l'activité politique sont en net recul, voire en voie de disparition» en Algérie, où «toutes les formes d'expression en dehors de la ligne du pouvoir sont systématiquement réprimées». Voilà, pour les apparences. 

Mais en réalité, cette requête algérienne correspond à une obsession persistante: faire définitivement taire des voix discordantes en exil, qui dénoncent la réelle incurie, la totale illégitimité et les révoltantes pratiques mafieuses du régime. La popularité de ces voix, comme celle de Amir Dz ou de Hichem Aboud, qui obtiennent d'importantes audiences sur les réseaux sociaux, à coups de plusieurs centaines de milliers de vues par jour, est, de fait, devenue un énorme cauchemar pour la junte aux commandes à Alger. 

Si l’appareil politico-militaire de ce pays a réussi à obtenir de Madrid l’extradition de deux influenceurs algériens sur les réseaux sociaux, à savoir Mohamed Abdallah et Mohamed Benhalima, il n’a pas réussi à obtenir jusqu'ici, un résultat identique pour les journalistes et les militants établis en France que sont Hichem Aboud, Amir Dz, Abdou Semmar et Ferhat Mehenni.

Le dossier de l’extradition de ces militants algériens, établis en France, a même été à l’origine d'une annulation à la dernière minute de la visite de l’ancien Premier ministre français Jean Castex, qui avait été prévue en avril 2021. Cette fois-ci, celui que Abdelmadjid Tebboune a osé, dans un entretien télévisé, nommer Moussa avec mépris, fera bel et bien partie de la délégation qui accompagnera Emmanuel Macron à Alger. Il ne s'agit, ni plus, ni moins, que de Gérald Darmanin, ministre français de l’Intérieur, dont le grand-père maternel, né en Algérie, a effectivement été baptisé, en deuxième prénom, Moussa, premier prophète de nos monothéismes. Mais la junte n'en a cure, et garde envers le locataire de la place Beauvau une tenace rancune, parce qu’il se trouve à la tête d'un département qui aurait dû lui livrer, selon ses desiderata, sur un plateau, la tête de chacun des opposants ardemment convoités par Alger. 

Il convient ici de souligner que le dossier des journalistes et des activistes algériens, qui s'opposent au régime, est aussi important aux yeux de la junte que celui de la rente mémorielle. Aujourd’hui, obtenir l’extradition des opposants au régime est même devenu plus important qu’obtenir des excuses de la France pour les crimes de la colonisation, pourtant dénoncés depuis des décennies à cor et à cri. 

Par Mohammed Ould Boah
Le 24/08/2022 à 06h05