Une question préoccupe le régime algérien: comment briser le Hirak? Et la visite du Premier ministre français, Jean Castex, qui était prévue ce dimanche à Alger, avant d’être annulée à la surprise générale, jeudi dernier, ne peut se soustraire à la préoccupation majeure des généraux aux commandes du pays.
L’annulation de la visite de la délégation française a été d’abord annoncée, jeudi dans l’après-midi, par la chaîne-poubelle Ennahar. Cette chaîne de télévision, qui est née sous l’ancien président Abdelalziz Bouteflika et a constitué l’un des relais favoris de la propagande de l’ancien régime, est ainsi réactivée pour accomplir une mission identique à celles qu’elle remplissait naguère. Bienvenue dans «l’Algérie nouvelle» que le président Tebboune et les généraux essaient de vendre dans la presse aux ordres.
Au même moment où Ennahar balançait son scoop, le ministre du Travail, Hachemi Djaâboub, qualifiait au Sénat la France d’«ennemi traditionnel et éternel», alors même que son intervention portait sur la caisse nationale des retraites en Algérie. Cela ressemble fortement à une action concertée, emblématique d’une grande irritation du régime militaire algérien.
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La réaction officielle est tombée jeudi dans la nuit. Les services de Jean Castex ont invoqué le «contexte sanitaire» et précisé que la rencontre «est donc reportée à une date ultérieure, lorsque le contexte sanitaire sera plus favorable». Alger n’a toujours pas réagi officiellement.
Officieusement, l’irritation d’Alger s’expliquerait par le format réduit de la délégation française qui prenait part à la 5e session du Comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien (CIHN). Cette délégation se composait de trois ministres: le chef de l’Exécutif Jean Castex, Jean-Yves Le Drian (ministre des Affaires étrangères) et Bruno Le Maire (ministre de l’Economie). Or, le ministre qui était le plus attendu à Alger s’est finalement désisté. Ce ministre, n’est autre que Gérald Darmanin, le premier policier de France.
Un connaisseur du régime algérien confesse pour Le360 que «si Castex avait fait le déplacement à Alger en compagnie du ministre des Affaires étrangères et du ministre de l’Intérieur, les autorités algériennes auraient déroulé le tapis rouge».
Le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, était ardemment attendu à Alger. Comme le révélait Le360, lors de son déplacement en Algérie les 7 et 8 novembre 2020, Gérald Darmanin, dont le grand-père maternel est né en Algérie, a prêté une écoute attentive à son homologue algérien, Kamel Beldjoud, qui s’est plaint de trois «opposants» algériens, établis en France, qui chercheraient à déstabiliser le pays par ce qu’il appelle «une guerre de quatrième génération» –une expression très en vogue chez les communicants du régime. Il convient de comprendre par «guerre de quatrième génération», la substitution d’Internet et des réseaux sociaux aux armes. Les trois «activistes» algériens de cette nouvelle forme de guerre sont Abdou Semmar, fondateur du journal en ligne Algeriepartplus, Hichem Aboud, ancien officier de la sécurité militaire algérienne, journaliste et auteur du brûlot La Mafia des généraux et le blogueur et journaliste d’investigation Amir Boukhors, alias Amir Dz. Au mois de novembre 2020, le ministre de l’Intérieur algérien a demandé leurs têtes.
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Avec la reprise en force du Hirak le 22 février 2021, le régime a déployé tous les moyens pour décrédibiliser ces Algériens qui postent des vidéos à partir de l’étranger. Il a mis à disposition d’activistes à la solde du régime d’immenses moyens pour atténuer l’influence des «gourous» du Hirak. Rien n’a été épargné pour les porter à se taire: ni la diffamation, ni les fiches de renseignement sur leur famille et encore moins l’intimidation.
Il faut savoir que les relais de la propagande du régime algérien, comme l’immonde Saïd Bensedira, n’ont aucun impact sur la jeunesse algérienne. Quand on sait que les moins de 35 ans représentent 62,4% de la population, on comprend vite que «la guerre de quatrième génération» est perdue d’avance par les gérontocrates aux commandes du pays.
A l’opposé, chaque vidéo postée par le blogueur et journaliste d’investigation Amir Dz génère plusieurs centaines de milliers de vues sur les réseaux sociaux. La popularité de Amir Dz est immense auprès de la jeunesse algérienne.
Impuissant à contrecarrer l’influence des figures du Hirak, établis à l’étranger, le régime cherche à les faire extrader vers l’Algérie. Le 22 mars 2021, les autorités algériennes ont lancé un mandat d’arrêt contre Hichem Aboud, Amir Dz, Mohamed Larbi Zitout (un ancien diplomate établi au Royaume-Uni) et Mohamed Abdellah (un ancien gendarme qui a trouvé refuge en Espagne). Ils sont poursuivis dans «une grave affaire pénale d'atteinte à l'ordre public et la sécurité et la stabilité de l'Etat» en lien avec «une personne appartenant à un groupe terroriste», selon l’Agence de presse algérienne, APS.
Abdou Semmar a disparu de la liste des personnes dont la tête est mise à prix, probablement parce qu’il est le plus patenté des journalistes et que le régime algérien n’est pas prêt de voir rééditée la mobilisation qui a succédé à l’arrestation du journaliste Khalid Drareni.
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Le dénominateur commun entre Hichem Aboud, Amir Dz, Mohamed Larbi Zitout et Mohamed Abdellah? Leur impact sur les réseaux sociaux algériens.
Trois jours après le lancement de ce mandat d’arrêt international, une loi (N°2021-302 du 22 mars 2021), promulguée par le gouvernement français, approuve la convention d’extradition entre la France et l’Algérie. La presse à la solde du pouvoir algérien a lancé des hourras, voyant dans cette quasi-simultanéité entre le mandat d’arrêt international et le décret promulgué par le gouvernement français un accord tacite de Paris pour extrader vers l’Algérie Amir Boukhors, alias Amir Dz, et Hichem Aboud.
Le régime algérien fondait de grands espoirs sur la 5e session du comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien pour avoir une confirmation de l’extradition de Amir Dz et de Hichem Aboud. Or, leur interlocuteur sur ce dossier, qui était annoncé parmi la délégation ministérielle de départ, a disparu de la liste. Pas de Gérald Darmanin, pas d’interlocuteur sur les instigateurs du Hirak. La déception du régime algérien est amère et sa réaction brutale.
Est-ce que Gérald Darmanin a eu un problème d’agenda (comme expliqué officiellement) ou est-ce qu’il n’a pas voulu embarrasser ses hôtes algériens? Car quel juge, de France et de Navarre, va accorder une once de crédit aux chefs d’accusation farfelus retenus dans le mandat international lancé par les autorités algériennes?